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The motet

Le genre sacré du Grand Siècle

Monarchie de droit divin, la France de l’Ancien Régime est gouvernée par des rois qui fondent et légitiment leur pouvoir sur la religion catholique. La liturgie est donc extrêmement importante dans ce contexte et un soin particulier est consacré à la transmission des traditions et des valeurs monarchiques. Avec la création du grand motet, le genre sacré par excellence du Grand Siècle, Louis XIV affirme son pouvoir temporel et spirituel.

Peinture représentant le roi David jouant de la harpe

Le rôle majeur des maîtrises dans la formation des musiciens

La musique s’apprend principalement dans les maîtrises, dont disposent chaque cathédrale et la majorité des collégiales de France. C’est dans ces maîtrises que sont formés la plupart des musiciens, parmi lesquels Lalande, Campra, Marais et Desmarest.

Garantes de la grande tradition liturgique, les maîtrises irriguent le royaume de talents formés avec une attention extrême. On y perpétue la pratique du plain-chant - chant monodique d’origine médiévale, qui perdure parallèlement aux nouveaux genres créés à l’époque baroque - ainsi que la messe polyphonique, héritage de la Renaissance. Du fait de sa fonction, la musique religieuse est constamment tiraillée entre tradition et modernité. Elle résiste à la nouveauté tout en y étant sensible.

Les éléments de modernité de la Chapelle royale vont irriguer les maîtrises du Royaume. Département le plus ancien de la Musique royale, la Chapelle réunit l’ensemble des chanteurs et des instrumentistes affectés au service ordinaire des offices religieux de la Cour. Elle possède un chœur, à l’image des maîtrises capitulaires. À l’ensemble des voix, exclusivement masculines, s’ajoutent les voix enfantines des Pages de la Chapelle placés sous l’autorité d’un clerc. Il n’y a en effet pas de voix de femmes dans la musique sacrée, même si Louis XIV les appréciait dans les récits solistes.

Au début du XVIIe siècle, la musique vocale sacrée est principalement accompagnée du serpent, instrument à vent qui donne le ton et soutient les basses du chœur. La seconde moitié du siècle voit ces goûts évoluer : la basse continue dans la musique sacrée devient monnaie courante, les basses d’archet et autres instruments graves (violes, violones, violoncelles et bassons…) remplacent le serpent ; par souci de puissance, les voix se trouvent doublées par les cornets et trombones ; enfin, des pièces purement instrumentales jouées la plupart du temps aux grandes orgues trouvent peu à peu leur place dans les offices.

Ange chanteur accompagné par un trombone, sur le dome de la basilique Santissima Annunziata del Vastato de Gênes

La Messe de Louis XIV

À la Chapelle du roi une nouvelle dynamique se développe au milieu du XVIIe siècle. Moment majeur de la journée publique du souverain et de la cour, la messe du roi devient un événement public qui participe à la construction de l’identité royale, fondée sur le temporel et le spirituel. Expression de la piété du prince, l’office royal permet également de rappeler les principes du gallicanisme, doctrine qui prône l’autonomie du roi de France par rapport au pape, et de l’Église de France par rapport à l’Église romaine.

Cette ambivalence s’exprime pleinement à travers la messe du roi. À côté de la liturgie traditionnelle, observée à la Chapelle royale pour les « grandes messes » du calendrier liturgique, la messe quotidienne du roi se déroule selon une liturgie propre, qui respecte à la fois le rite prescrit par Rome et souligne l’importance et la présence du souverain. Une messe basse est célébrée à l’autel selon le rite romain, tandis qu’à l’étage du roi, enfants, chantres et instrumentistes de la Musique, réputés dans l’Europe entière, chantent deux types de motets : un grand, avec solistes, chœur et instruments, de 20 minutes environ ; un petit, aux dimensions et effectifs plus réduits pour le moment plus contemplatif de l’élévation ; puis une prière finale pour le roi (Domine salvum fac Regem).

Cette organisation connaît peu d’évolution tout au long du règne de Louis XIV, même s’il est probable que le petit motet s’efface peu à peu devant le grand, qui prend de nouvelles proportions à partir de l’installation de la cour à Versailles.

Cérémonie de Mariage du Dauphin Louis Auguste et de l'archiduchesse Marie-Antoinette à la chapelle royale de Versailles

Les textes choisis pour cette liturgie royale participent à la construction de l’image de piété du prince : les psaumes, et notamment ceux de louange ; des textes des Pères de l’Église ; des poésies néo-latines spécifiquement composées par des poètes contemporains. Tous ces textes visent à exalter les valeurs de piété et la majesté du souverain.

Le grand motet

Sous-maîtres de la Chapelle de Louis XIV, Henry Du Mont et Pierre Robert illustrent le genre du motet, que Lully, puis Lalande, vont s’employer à développer sous l’égide du roi pour créer le « grand motet » ou « motet à grand chœur ». Le grand motet relève de l’affirmation d’un idiome national, de la création de véritables genres français (comme la tragédie lyrique, l’air de cour ou la suite de danses), distincts de la musique italienne prédominante, voire hégémonique, dans l’Europe du début du XVIIe siècle.

En effet, le grand motet est un genre exclusivement français. On attribue à Nicolas Formé l’origine du motet à double-chœur (petit chœur de solistes contre grand chœur de choristes) sous Louis XIII, mais c’est « Monsieur de Lully, Écuyer-Secrétaire-Conseiller du roi, et Surintendant de la Musique de Sa Majesté » qui en est le créateur éclairé. Jean-Baptiste Lully, Marc-Antoine Charpentier, Michel-Richard de Lalande, André Campra, Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville en sont les grands représentants.

Les grands motets de Lully

Parmi les vingt-trois œuvres sacrées de Lully qui nous sont parvenues, douze sont des grands motets. Ses fonctions de surintendant, dont il prend soin d’étendre les prérogatives, lui donnent un droit de regard sur la production musicale de la cour et de l’Académie royale de musique, qu’il va très vite contrôler ; sa musique a valeur d’exemple et doit servir au plus haut la gloire de son roi. Ses grands motets s’inscrivent logiquement dans cette perspective et l’essentiel de sa production est associé à des événements d’importance. Sous sa direction se réunissent les Musiques de la Chambre, de la Chapelle et quelquefois de l’Écurie pour les jours solennels.

Portrait de Lully par Bonnart

Pour les funérailles de la première épouse de Philippe d’Orléans, frère du roi, Lully compose un Miserere, modèle grandiose du grand motet français. Joué devant toute la cour, l’ouvrage manifeste dans l’invention d’un genre nouveau l’affranchissement de la monarchie française de la tutelle de Rome. Un effectif instrumental important est mobilisé pour son exécution : grande bande de violons, violes de gambe, théorbes, flûtes à bec et traversières, hautbois, bassons, clavecin et orgue.

La marquise de Sévigné rapporte que « tous les yeux étaient remplis de larmes » à l’audition de ce chef-d’œuvre.

Les grands motets de Michel-Richard de Lalande

Les grands motets composés par Lalande évoquent parfaitement cette construction d’une véritable image sonore de la majesté. C’est à la Chapelle que son empreinte sur la musique de cette époque est la plus forte, comme en témoignent les soixante-dix-sept motets à grand chœur qu’il compose pour la messe quotidienne du roi.

Portrait du compositeur Michel-Richard de Lalande écrivant à sa table

C’est au travers du Te Deum que s’incarne au plus haut point l’image de la majesté. Pas de victoire, de traité de paix ou d’événement dynastique (sacres, mariages, naissances, convalescences, anniversaires, etc.) qui ne soit en France célébré au son d’un Te Deum. Cet hymne acquiert sous le règne de Louis XIV une importance fondamentale dans le protocole royal. Comme nombre de grands motets du compositeur, le Te Deum fait ensuite les beaux jours du Concert Spirituel, institution fondée pour offrir aux Parisiens de la musique pendant la fermeture de l’Opéra, durant le carême et la semaine sainte.

Le petit motet

Cultivé en France dès les années 1640, le petit motet est sous le règne de Louis XIV la forme de musique religieuse la plus pratiquée dans le cadre liturgique, aux côtés du motet à grand chœur. Exécutés principalement au moment de l’élévation, pour les saluts du Saint-Sacrement ou sous forme d’antiennes pour les grandes fêtes de l’année liturgique, les petits motets sont pratiqués dans toutes les grandes institutions religieuses du royaume, comme les couvents, la Chapelle du roi, la Maison royale de Saint-Cyr, fondée par Mme de Maintenon pour l’éducation des jeunes filles pauvres de la noblesse. Selon leurs destinataires, ils présentent des effectifs variés, d’une à trois voix d’hommes, de femmes ou mixtes, avec ou sans instruments pour les accompagnements et les ritournelles.

Page autographe de la partition des Motets de Campra

Alors que le motet à grand chœur s’appuie principalement sur des psaumes, le petit motet, destiné à des moments plus intimes de la liturgie, privilégie des textes emprunts d’une spiritualité plus intérieure dans lesquels transparaissent toutes les nuances de la spiritualité du temps. À l’aube du XVIIIe siècle, le petit motet constitue, avec la musique instrumentale et la cantate, un terrain perméable à la mode italienne qui gagne les cercles musicaux, incitant les musiciens à tenter, par-delà des querelles esthétiques souvent vives, une réunion des goûts. Peu à peu, les petits motets, dans lesquels l’écriture se fait plus déliée, plus virtuose, se structurent, faisant évoluer le genre parallèlement à la cantate, sorte d’opéra-miniature qui constitue le nouveau genre profane à la mode.

Reflets d’une tradition autant que de l’évolution des goûts pour des formes plus développées et des tournures plus italiennes, les petits motets du début du XVIIIe siècle sont les principaux témoins d’une esthétique en pleine mutation.

Sous la plume de compositeurs comme Morin, Bernier, Charpentier ou Campra, le genre voit s’estomper peu à peu les barrières entre les domaines religieux et profanes, notamment par une plus grande théâtralisation du discours musical. Proche de la cantate, son homologue destiné aux salons, le petit motet acquiert ainsi, en ce XVIIIe siècle naissant, un tour plus mondain, amplifié par un goût affirmé pour la virtuosité vocale et une dimension plus concertante.


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