Un spectacle emblématique du premier XVIIe siècle français
La danse, un art majeur en France
Lorsqu’elle se développe au XVIIe siècle sous le règne de Louis XIV, la « Belle Danse » est bien davantage qu’un simple divertissement de noble. Elle est au contraire un art majeur, dont l’enjeu est social et politique. Exercice de l’éducation aristocratique, la danse est nécessaire à l’« honnête homme » : qui gouverne son corps, gouverne son esprit et peut donc gouverner ses sujets.
Le choix de Louis XIV de créer l’Académie royale de danse avant l’Académie royale de musique, par souci d’exigence, de rayonnement et de perfection de cet art, est à cet égard éloquent.
Le roi danse
Représenté avec magnificence chaque année durant le carnaval, le « ballet du roi » constitue, depuis le règne d’Henri IV, un véritable rituel monarchique. Entouré de gentilshommes choisis mais aussi de baladins professionnels, le souverain s’y met en scène afin de « représenter » à la cour et à ses sujets l’image la plus parfaite du prince vertueux. Il s’agit de montrer par la danse et l’harmonie qu’elle symbolise par un cadre savamment réglé et hiérarchisé, la légitimité de la personne royale, la force de sa politique et les bienfaits qu’elle apporte à ses peuples. L’image du souverain accompli, garant de l’ordre et de l’harmonie, s’exprime dans le « grand ballet » final en une véritable apothéose chorégraphique et symbolique.
Depuis son plus jeune âge, Louis XIV pratique avec talent la danse avec les plus grands maîtres dont Pierre Beauchamp.
Danseur passionné, ce souverain qui se produit pour la première fois en public à 12 ans, entouré des meilleurs interprètes de la cour, va donner une importance considérable aux arts chorégraphiques. Suivant les pas de son père Louis XIII, qui avait compris tout son potentiel politique, il va danser en public, jouant de nombreux personnages parmi lesquels un Filou, un Devin, une Bacchante, un Titan et une Muse dans le Ballet du roy des Fêtes de Bacchus (1651).
Le ballet de cour, miroir de la société aristocratique
Ce spectacle alliant poésie, arts visuels, musique et danse est un miroir d’une société aristocratique qui met en scène ses préoccupations, ses passions, ses travers même, depuis le premier exemple abouti du genre en 1581, le Ballet comique de la reine.
Sous le prétexte du divertissement, il vise des enjeux liés au pouvoir et exalte la grandeur de la monarchie. Toute la cour se doit de participer ou d’assister aux ballets dont les plus importants se dansent en public depuis la fin des années 1620. Sous l’impulsion du cardinal de Richelieu, le genre est en effet devenu un indispensable outil de propagande qui contribue à l’émergence d’une véritable « mythologie royale » basée sur des sujets politico-allégoriques.
Dans les années 1640, la magnificence des ballets se voit renforcée par une scénographie de plus en plus ambitieuse, à l’imitation des pièces à machines dont le public parisien est alors friand, grâce aux techniques innovantes venues d’Italie. Jusque-là dansés sans scénographie, les ballets intègrent de véritables dispositifs scéniques (décors à larges perspectives, machines ingénieuses, etc.) qui ajoutent au merveilleux des intrigues et au faste des représentations.
Évolution du genre au début du règne de Louis XIV
Peu de ballets sont dansés à la cour durant la régence d’Anne d’Autriche. Le roi, né en 1638, est trop jeune pour paraître en public, et le genre s’efface un temps devant l’opéra italien, que Mazarin tente sans grand succès d’implanter à Paris. Pour satisfaire le goût des Français pour la danse, les opéras italiens représentés devant la cour sont agrémentés de ballets et d’intermèdes à machines.
Il faut attendre que la révolte de la Fronde s’essouffle pour voir le ballet de cour se revivifier, au tout début des années 1650, sous la plume d’Isaac de Benserade qui lui donne ses lettres de noblesse. Désormais chargé d’écrire les vers des ballets royaux, il renouvelle le genre en opérant une synthèse des différents types de ballets du premier XVIIe siècle. Ce nouveau ballet s’articule autour d’un sujet général, souvent allégorique ou dérivé de la fable, décliné en actes ou parties, chacune étant elle-même subdivisée en diverses « entrées » constituant autant de tableaux variés. Une partie est généralement introduite par un récit qui en expose le sujet, les actions et les passions qu’il suscite. Dans ce cadre formel, mieux défini et plus constant, Benserade perpétue l’esprit à la fois noble et fantasque du ballet de cour en entremêlant éléments sérieux et plus légers, et références à la tradition ou contemporaines, parfois représentés de manière détournée ou satirique. Ainsi le ballet de cour, jusque-là événement composite et polymorphe, trouve dès le début des années 1650 une nouvelle identité.
Le Ballet royal de la Nuit, un ballet emblématique
En février 1653, le jeune Louis XIV apparaît « représentant le Soleil levant », scintillant d’or et de pierreries, à la cour et aux nombreux spectateurs massés dans la salle du Petit-Bourbon pour le voir danser « son » ballet. Le succès et l'impact du Ballet royal de la Nuit sont immenses.
Le Ballet royal de la Nuit est représenté dans un lieu symbolique de la mise en scène monarchique depuis la Renaissance, situé entre le Louvre et l’église Saint-Germain-l’Auxerrois. Alors âgé de 15 ans, le roi danse pour la première fois dans cette salle dédiée aux grands ballets royaux et des événements politiques.
« Ballet royal » par sa taille avec ses quelques 43 entrées et les importants moyens mis en œuvre, le Ballet royal de la Nuit surpasse ses prédécesseurs par son ambition symbolique et sa portée politique. Il s’agit de montrer à toute l’assistance la victoire du pouvoir légitime et de l’ordre sur la révolte et l’anarchie (La Fronde), en véhiculant l’image d’un jeune souverain conquérant, sûr de son autorité désormais affermie.
Toutes les caractéristiques du « ballet du roi » sont réunies. Le sujet est propice à la construction d’une véritable mythologie royale, forgée par l’entremêlement d’éléments fabuleux ou romanesques, de symboles, d’emblèmes et d’allégories, mais aussi de références contemporaines, sans oublier, en ce temps de carnaval, la pure fantaisie, exprimée à travers les costumes et les masques qui autorisent toutes les allusions, voire des transgressions.
Commandé par le roi, le ballet est « ordonné » par le sieur Clément, intendant du duc de Nemours. L’écriture du livret est confiée au poète Isaac de Benserade, qui signe là son premier chef-d’œuvre.
Au regard des autres ballets royaux du XVIIe siècle, ce ballet est relativement bien conservé et documenté. Parmi les interprètes danseurs figure Jean-Baptiste Lully, qui se fait rapidement connaître à son arrivée d’Italie par ses talents de baladin et de violoniste et s’impose dès lors comme seul compositeur de la musique instrumentale des ballets royaux. La musique instrumentale est traditionnellement confiée à la « Grande Bande » des Vingt-Quatre Violons du roi.
Le Ballet royal de la Nuit, ou l'apothéose du ballet de cour
Structure du Ballet royal de la Nuit
Inscrit dans la tradition du ballet à entrées, le Ballet royal de la Nuit est structuré en quatre parties, introduites par le récit chanté d’une ou plusieurs figures divines ou allégoriques, puis composées d’une succession d’entrées tour à tour nobles et fantasques, dans un plaisant mélange de sérieux et de grotesque, de louange et de satire, de mythologie et de politique contemporaine, de scènes peuplées d’allégories et d’êtres fantastiques, mais aussi de références à la vie quotidienne. Le grand ballet final s’ouvre par le récit de l’Aurore. Conformément à l’esprit des ballets de cour, le tout se fait dans un renversement, un dérèglement permanent, qui cependant épargne tout ce qui touche à la figure royale, caution de stabilité, d’ordre et d’harmonie. Comme dans tous les ballets, ces « tableaux » répondent à plusieurs objectifs : au-delà des enjeux politiques, il s’agit bien sûr de divertir, mais aussi de faire, à travers des scènes réalistes, idéalisées ou détournées, un portrait contrasté de la société.
Par-delà cette peinture, se dessine encore en filigrane un portrait du jeune Louis XIV : l’on y voit ses inclinations, à travers ses passions (le bal, le ballet, la comédie), mais aussi son éducation, ses lectures et son goût pour la culture de son temps. S’il est politique et donne à voir toute l’ambition du jeune roi, le Ballet royal de la Nuit témoigne aussi, et malgré la dérision, de ce « goût délicat pour les savantes beautés » (Molière) qui allait en faire très tôt le monarque éclairé que l’on sait.
Postérité du ballet de cour
Si le genre du ballet de cour disparaît en tant que tel dans les années 1671, on le retrouve intégré dans la tragédie en musique et la comédie-ballet créées par Lully, à la fois dans la forme du prologue, mais aussi dans les divertissements qui ponctuent chaque acte de l'intrigue.
Louis XIV se produit pour la dernière fois sur scène et en public dans la comédie-ballet Les Amants magnifiques, dernière collaboration de Molière et Lully, en 1670. Le roi, qui a travaillé les rôles de Neptune et du Soleil-Apollon « au point de s’en rendre malade », rapporte-t-on, n’aurait dansé qu’à la première représentation, se faisant ensuite remplacer. A trente-deux ans, il mettait fin à une carrière chorégraphique de dix-neuf ans.
Sous son règne, la Belle danse s'est professionnalisée, et si les souverains après lui continuent de danser, ils ne se mettent en scène que devant un public choisi et restreint, dans un cadre privé.