Musiques pour les comédies de Molière de Marc-Antoine Charpentier, édité par Catherine Cessac, est le 17e volume de l’édition complète de l’œuvre de Charpentier publiée par les éditions du Centre de musique baroque de Versailles. Ce nouveau volume prend notamment en compte les différentes versions du Malade imaginaire, un élément qui intéressera d’autant plus les musiciens qu’il s’agit en plus de la première édition moderne complète de cette œuvre !
- Catherine Cessac, vous avez déjà travaillé avec les musiciens sur le Malade imaginaire, en particulier avec Marc Minkowski en 1988. Quelles sont ces versions, que peut-on en faire aujourd’hui ?
Catherine Cessac : "La création du Malade imaginaire puis ses nombreuses reprises posent des questions complexes et uniques en leur genre. Au départ, l’œuvre devait être donnée à la cour de Saint-Germain devant Louis XIV. Les auteurs écrivirent alors un grand prologue à la gloire du roi qui venait de combattre en Hollande. Pour des raisons inconnues, l’invitation royale ne vint pas et la comédie fut donnée à Paris le 10 février 1673. Nous ne savons pas si la grande pièce introductive fut donnée ou si elle fut remplacée très vite par un prologue plus modeste ayant pu même être imaginé par Molière (qui meurt le 17 février alors qu’il interprétait le rôle-titre d’Argan)."
- Pour quelles raisons Marc-Antoine Charpentier a dû arranger sa partition à plusieurs reprises ? Ces arrangements impliquent-ils des aménagements de la comédie ?
C.C. : "La première variante que je viens d’évoquer fut suivie de beaucoup d’autres, dus en partie au diktat de Lully voulant seul régner sur le théâtre chanté. Pour cela, il obtint de Louis XIV des ordonnances visant à réduire le nombre des instruments et des chanteurs en dehors de l’Académie royale de musique. Outre ces fortes contraintes, il semble que Charpentier a apporté plusieurs changements à sa partition pour des raisons qui nous échappent. Il a signalé dans son manuscrit les versions suivantes : « dans sa splendeur » pour la création, « avec les deffences » (de Lully) pour l’année suivante et un autre état « rajusté autrement pour la 3eme fois », probablement pour une reprise à Versailles, le 11 janvier 1686. Nous avons conservé ces appellations par commodité même si des remaniements ont été opérés séparément au sein des intermèdes, ainsi que nous l’expliquons dans l’introduction du volume. La comédie ne fut pas touchée par ces transformations."
- C’est une véritable enquête que vous avez menée, à la suite des travaux de Wiley Hitchkock et John Powell. De quelles bases êtes-vous partie et comment avez-vous pu renouer les fils de ces différents états ?
C.C. : "Oui, une très longue enquête dans le prolongement des études de mes deux collègues américains. J’ai surtout découvert que les manuscrits posaient des problèmes beaucoup plus importants qu’on ne le pensait. Il m’a donc fallu tenter de comprendre au plus près leur fonctionnement et leur logique, ce qui a été très long et parfois assez difficile."
- Le Centre de musique baroque de Versailles propose donc aux musiciens, en sus de cet imposant volume, trois partitions et matériels différents pour interpréter la version qu’ils souhaitent. Quels sont les critères à considérer pour faire ce choix ? Est-ce qu’il y a selon vous une version supérieure aux autres ? Qu’est ce qu’il est important de prendre en compte pour mettre en valeur la version que l’on choisit ?
C.C. : "Les trois versions signalées par Charpentier m’ont conduite à les considérer en tant que telles et à les publier séparément (sous formes de tirés-à-part), ce qui n’a jamais été fait. Évidemment, la version originale peut être considérée comme étant la plus intéressante dans le sens où elle exprime l’inspiration première des créateurs, surtout de Molière. Cependant, les deux autres états offrent des pièces absentes de cette version comme par exemple les airs italiens et un certain nombre de danses ajoutées, tout en conservant autant d’intérêt dramaturgique que musical. L’interprète actuel peut donc choisir en fonction des effectifs qu’il a à sa disposition, de son goût, et s’approprier la version de son choix."
Catherine Cessac
CESR, CMBV, Directrice de recherche émérite au CNRS
Spécialiste de Marc-Antoine Charpentier, elle est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le compositeur et a déjà publié plusieurs volumes de l’édition monumentale du Centre de musique baroque de Versailles. Son dernier livre est consacré au mécénat de la duchesse du Maine. Elle participe à des travaux pluridisciplinaires associant musicologie et littérature.