Redécouvrir le son historique des instruments à anche double (hautbois, musette et leurs variantes), dont la place est centrale dans la musique baroque française, en menant un travail de fond sur l’anche, son histoire, sa facture et sa reconstruction.
Si la quête du « son historique » a été le moteur des recherches en musique ancienne depuis leurs débuts, celui des instruments à anche double de l’époque baroque (hautbois, musette, basson) nous reste encore largement inaccessible. Malgré leur place centrale dans la musique des XVIIe et XVIIIe siècles, ces instruments posent plusieurs apories à la recherche : d’abord leur place ambiguë entre culture populaire et savante, et surtout le fait que leur timbre dépend en grande part de leur anche, embouchure en roseau dont peu d’exemples anciens ont survécu et sur la facture de laquelle les sources sont rares.
Pour les surpasser, le projet Anches abolit les cloisonnements disciplinaires en étudiant l’anche double sous les angles de la philologie musicale, de l’organologie dans la diachronie longue et de l’ethnomusicologie de terrain. On étendra d’abord l’enquête à tous les instruments à anche double baroques, jusqu’ici étudiés chacun séparément. On dépassera les bornes chronologiques en considérant aussi leurs précurseurs et leurs descendants directs : les instruments ‘traditionnels’ (hautbois populaires et cornemuses) de France et du pourtour méditerranéen.
Le travail sur les données historiques (analyse des traités anciens et autres sources textuelles ; relevés et analyse des anches anciennes conservées) sera complété par des enquêtes de terrain sur les savoirs vivants liés à l’anche, de la récolte du roseau à l’émission du son. Les recherches théoriques seront doublées d’un volet opératif : facture d’anches et interprétation musicale, en dialogue avec des artisans et des musiciens.
Au total, cette enquête d’histoire du son musical en tant que donnée culturelle au sens large accroîtra non seulement les connaissances sur la famille des instruments à anche double, mais permettra aussi, en se donnant pour la première fois les moyens d’appréhender les paramètres de leur son historique, des pratiques musicales informées par le travail scientifique.
Le projet se déploiera autour de quatre tâches :
Recensement et analyse des anches anciennes des hautbois, bassons et musettes baroques et constitution d’une base de données des anches anciennes conservées ; constitution d’un corpus documentaire de sources historiques sur l’anche et le son des instruments à anche double à l’époque baroque.
Enquêtes de terrain ethnomusicologiques sur la facture de l’anche double pour les instruments de tradition orale apparentés aux musettes et hautbois baroques, afin de documenter les savoir-faire vivants qui s’y perpétuent (sélection du roseau, outils de facture, gestes, etc.)
Élaboration et construction de copies d’anches anciennes d’instruments baroques, d’outils de facture d’anches et de protocoles de facture d’anches historiques, en partenariat avec des artisans intégrés à l’équipe du projet.
Diffusion et partage des résultats de recherche auprès des musicologues, musiciens et facteurs.
Impact du projet
Au-delà de la mise à disposition pérenne des productions du projet, qu’elles soient matérielles (anches, outils, matériaux) ou immatérielles (jeux de données, dessins des outils et des anches, protocoles de sélection du roseau et de facture d’anches), le projet Anches a pour mission de :
Combler, avec la description et l’analyse exhaustives des anches anciennes, une lacune profonde dans la connaissance organologique des instruments de la famille des aérophones à anche double.
Contribuer à décloisonner l’histoire de la musique de l’ethnomusicologie, et plus largement les études historiques de la recherche sur terrains vivants, en faisant concourir et contribuer ces deux champs méthodologiques et disciplinaires au même objectif de recherche.
Remédier à la négligence avec laquelle les anches, artefacts rares et importants, ont été conservés jusqu’à présent ; prévenir la perte ou la destruction, à l’avenir, des anches anciennes subsistantes.
Recueillir, par l’enquête de terrain, un patrimoine immatériel de gestes et de techniques avant leur disparition.
Concevoir un modèle innovant de coopération et d’échange entre les acteurs de la conservation du patrimoine et les artisans-luthiers d’aujourd’hui, pour œuvrer, de part et d’autre, à une meilleure compréhension des savoir-faire d’autrefois à l’origine de ces artefacts
Donner les moyens aux artisans d’aujourd’hui d’appuyer sans entraves leur travail sur l’observation et l’analyse des artefacts anciens conservés ; rendre à ces artefacts une utilité et un sens en tant que documents à même d’informer l’artisanat d’aujourd’hui.
Œuvrer à une prise de conscience collective dans le monde de la musique ancienne de l’ampleur du travail à mener pour satisfaire aux exigences d’une musique véritablement ‘historiquement informée
Permettre aux musiciens de jouer pour la première fois des copies exactes des instruments originaux sans les modifier ; donner enfin à entendre un son qui s’approche au plus près des paramètres historiques.
Offrir un cadre de réflexion et un partage des savoirs redonnant autonomie aux instrumentistes pour la fabrication des anches ; éviter la souffrance au travail et les accidents liés à l’utilisation d’anches trop difficiles à jouer.
Prévenir une aggravation du délitement du lien des musiciens avec le végétal et le geste artisanal.