Dans un double objectif de promouvoir la musique française des XVIIe et XVIIIe siècles par l'interprétation historiquement informée, le Centre de musique baroque de Versailles a réalisé un vaste projet de recherche musicologique et organologique aboutissant à la fabrication d’instruments à anches doubles de la fin du XVIIe siècle.
Dans le cadre de la production d’Atys de Lully dirigée par Alexis Kossenko en mars 2024, le Centre de musique baroque de Versailles a fait reconstruire des hautbois et cromornes témoignant de la facture instrumentale française des années 1680. En partenariat avec l’IReMus (Institut de Recherche en Musicologie du CNRS) et le Musée de la Musique, et avec le concours de Neven Lesage (hautboïste – CMBV), Lola Soulier (hautboïste et chercheuse – Sorbonne Université-IReMus) et Achille Davy-Rigaux (chercheur – IReMus), un vaste chantier de collecte et d’analyse de sources a permis d’aboutir à l’identification d’instruments conservés au Musée de la Musique dont des copies en fac-simile ont été réalisées, de même que des reproductions en impression 3-D à partir de tomophotographies (rayons X). Suite à un appel d’offre, quatre facteurs ont été sélectionnés pour reconstruire un ensemble de hautbois et cromornes regroupant 5 dessus de hautbois, 2 tailles de cromorne et 1 basse de cromorne.
À l’issue de ce projet de reconstruction, le CMBV met à disposition des interprètes :
- 5 dessus de hautbois au diapason 392 Hz : 3 copies du hautbois signé « ROVGE » n°E.979.2.12 conservé au Musée de la Musique par Alberto Ponchio et 2 copies du hautbois anonyme n°E.108 conservé au Musée de la Musique par Olivier Clémence ;
- 2 tailles de cromorne au diapason 392 Hz : 2 copies de la taille anonyme E.980.2.149 conservée au Musée de la Musique ; 1 copie réalisée par par Thierry Bertrand et 1 copie réalisée par Henri Gohin ;
- 1 basse de cromorne au diapason 392 Hz : d'après une copie conservée au Musée de la Musique, 1 copie réalisée par Henri Gohin.
Il met également à la disposition des interprètes et chercheurs les 6 prototypes (copies conformes d'instruments originaux sans adaptation : 4 dessus de hautbois, 2 tailles) réalisés au cours du projet.
Il met enfin à la disposition des interprètes et chercheurs les impressions numériques 3-D des hautbois « ROVGE » et n°E.108 conservés au Musée de la Musique.
A l’occasion de la production d’Atys de Jean-Baptiste Lully, le CMBV a fait reconstruire des copies de hautbois historiques français par les facteurs Thierry Bertrand, Olivier Clémence, Henri Gohin et Alberto Ponchio grâce au financement apporté par Monsieur Romain Durand, Grand mécène du CMBV - instruments Durand Milanolo.
Dans le cadre de ce projet de reconstruction, le CMBV a commandé plusieurs publications visant à documenter le projet de recherche « Typologie du hautbois en France entre 1650 et 1765 » :
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CAHIER PHILIDOR
Les Hautbois d’Atys : projet de reconstruction du consort de hautbois français des années 1670 par Lola Soulier (Université de Paris-IV Sorbonne), conseillère scientifique (organologie)
CONSULTER - ARTICLE
À la recherche des hautbois pour « Atys 2024 » – Critères morphologiques de hautbois conservés datables entre ca. 1670-1710 / Mise en relation de ces instruments avec des documents visuels contemporains – par Florence Gétreau (Directrice de recherche émérite au CNRS, IreMus), Neven Lesage (Conseiller et chargé de mission organologie, CMBV) et Vincent Robin (musicologue)
CONSULTER - DOCUMENT DE SYNTHÈSE
Les anches de hautbois sous l’ancien régime par Lola Soulier (Université de Paris-IV Sorbonne), conseillère scientifique (organologie)
CONSULTER -
ARTICLE
Origins of the oboe : typologies and musical (EN) par Geoffrey Burgess
CONSULTER
Focus sur les facteurs
Thierry Bertrand
Fabrication d'une Taille
« Atelier de Facture Instrumentale à Vent »
Facteur depuis 1977, spécialisé dans les instruments à vent anciens, à anches doubles
- Etape 1 : découverte, étude et mesure de l’original
Dans un tel projet, la première étape qui me parait incontournable et décisive, c’est la rencontre avec le hautbois original. C’est ainsi que le 1 août 2023, nous nous sommes rendus, mon fils Jérémy et moi-même, au musée de la Musique, Cité de la musique, Philharmonie de Paris. Grâce à l’aimable autorisation de M. Thierry Maniguet, conservateur, responsable de l’équipe conservation-recherche, nous avons pu effectuer un relevé très précis du hautbois anonyme : E.980.2.149. Nous avons étudié tous les détails techniques de l’original et de nombreuses photos de chaque élément, tant acoustiques que décoratifs, ont été prises. Avec beaucoup de minutie (précision au centième de millimètre), nous avons relevé toutes les cotes des parties acoustiques, mais aussi décoratives : Les longueurs de chaque partie : corps du haut et du bas, et du pavillon, les positionnements, les diamètres et l’inclinaison des 12 trous de jeux, les relevés des parties internes, les « perces », en allant de l’extrémité du pavillon jusqu’au logement du bocal, situé sur le corps du haut. C’est environ 200 mesures (au centième), en tenant compte des déformations du bois, qui permettent de mieux comprendre la complexité des perces de la fin du XVIIe. Cette étude est capitale, car les profils intérieurs ont une énorme importance sur le résultat acoustique de l’instrument. - Etape 2 : étude et analyse des cotes
Les mesures effectuées sur l’original, aussi précises soient-elles, ne permettent pas directement la restitution d’un fac-similé. Il est nécessaire d’analyser chaque cote, en tenant compte des déformations du bois. Ce travail fait apparaitre peu à peu, le véritable profil de la perce d’origine. Les perces à cette époque ne sont pas des cônes parfaits : elles sont presque toujours constituées d’une enfilade de portions plus ou moins coniques. - Etape 3 : fabrication des alésoirs
Les alésoirs sont des outils coniques permettant de reproduire, avec une grande précision, les profils exacts des perces internes. Pour chaque restitution, il est indispensable de fabriquer un jeu d’alésoirs conforme aux cotes de l’original. Dans le cas de la « taille » de hautbois E.980.2.149, 4 alésoirs sont nécessaires. Ces alésoirs sont fabriqués sur un tour à métaux, dans des aciers spéciaux. - Etape 4 : la fabrication des trois parties du hautbois
Les différentes phases de la fabrication d’un hautbois ne diffèrent pas, de nos jours, des méthodes des anciens facteurs de l’époque. Hormis certaines évolutions du matériel (moteur électrique, visu numérique…), les façons de procéder sont restées les mêmes, et nous pouvons les résumer ainsi : Débit des 3 pièces de bois, dans une essence identique, et de même densité que l’original (bois de prunier pour le E.980.2.149), tournage en cylindre, perçage d’ébauche en « escalier », c’est-à-dire de différents diamètres, préparant ainsi le travail des alésoirs, alésage d’ébauche mais non définitif, le bois doit se détendre progressivement, pose des cerclages ou bagues. Pour le E.980.2.149, c’est de la corne qui était utilisée, mais les normes actuelles nous poussent à utiliser des matériaux de remplacement (résines synthétiques, acétate de cellulose …). Tournage des parties externes, des « moulurages » décoratifs, des « bosselages », qui recevront les clefs. - Etape 5 : le perçage des trous de jeu et d’accord
Depuis au moins le quinzième siècle, les facteurs d’instrument à vent utilisent une méthode pour réduire l’écartement des trous de jeu et ainsi améliorer le confort du musicien. Cette technique consiste à percer les trous en oblique par rapport à l’axe central. Le hautbois E.980.2.149, est percé de cette manière, avec des angles opposés allant de 18 à 29 degrés. - Etape 6 : fabrication des clefs
Ce hautbois est équipé de 2 clefs en laiton, une simple et une autre double, dite à « bascule ». Cette dernière est constituée d’une partie actionnée par le petit doigt, faisant levier sur la deuxième partie recevant le tampon en cuir. - Etape 7 : les finitions
Toutes les phases d’alésage, de réglage, d’accordage, etc., étant maintenant abouties, nous pouvons passer à la finition. Sur presque tous les instruments anciens à vent, on observe des traces de finition : il peut s’agir de différentes teintures, mais également d’une ou plusieurs couches de protection. Les huiles, les cires, les vernis (aux résines naturelles), sont souvent utilisées par les facteurs anciens.
Olivier Clémence
Fabrication d'un Hautbois Anonyme E.108 du Musée instrumental de la Cité de la Musique Philharmonie de Paris
Atelier Clémence
La réalisation d’une copie du hautbois Anonyme E.108 dans le cadre du projet « Les hautbois d’Atys » a constitué une formidable expérience avec de nombreuses incidences sur le plan humain, historique et technique.
Le caractère de cet instrument (origine tout début XVIIIe) se situe à la fois dans la tradition de la facture française avec son chef de file Pierre Jaillard (Bourg-en-Bresse,1663) dit Peter Bressan (Londres) avec quelques influences de la facture hollandaise et du grand Hendrik Richter en particulier. Avec sa perce large et son profil très étroit, il est d’une grande élégance, évoquant les qualités esthétiques du hautbois de « La Danse des Nymphes », détail de la tapisserie de la Manufacture des Gobelins, XVIIe siècle, Hôtel de Bourvallais, Paris.
La phase de la réalisation technique a été d’une grande exigence, avec la conception exacte des outils de perce selon les mesures de L.Van Helsdingen, M. Ecochard, B. Haynes, et le travail spécifique de tournage de l’ébène et du substitut ivoire.
Cet instrument comporte quelques énigmes acoustiques, qui ont été en partie résolues et d’autres en cours d’étude à partir de plusieurs prototypes en cours de mise au point. Ce travail
En deux étapes avec la copie originale et sa version transposée en diapason 392 ont représenté des semaines de fabrication et de mise au point à l’atelier et puis en concertation avec les interprètes.
"Pour mieux identifier le caractère propre du hautbois E.108, j’ai pu être accueilli à deux reprises en août 2023, au Musée instrumental de la Cité de la Musique de Paris par son directeur Monsieur Thierry Maniguet. Cet accueil chaleureux et l’émotion de découvrir en présence le hautbois original, fût un moment fort et de grande qualité."
Henri Gohin
Création d’un fac similé de Taille de Hautbois d’après l’original E.980 du musée de la musique et d’une transposition au diapason 392
Facteur d’instruments de musique ancienne à vent
Cette commande du Ccentre de musique baroque de Versaille est tout à fait emblématique du rôle des facteurs d’instrument de musique ancienne. En effet, de nombreux instruments ne sont plus disponibles pour les musiciens et parfois même absents des collections muséales. Nous devons donc à partir des sources disponibles étudier, dresser les plans, créer l’outillage nécessaire (principalement les alésoirs), puis passer à la réalisation. Soit : choix du bois, débit, perçage et alésage, préparation et ajustage des bagues en corne, tournage extérieur, perçage des trous de jeux, fabrication, montage et ajustage des clés, préparation d’un assortiment de bocaux pour essai, essai de jeux et sélection d’un bocal.
Les diapasons originaux étant parfois incompatibles avec l’usage actuel, il faut, comme dans ce cas, reprendre l’ensemble des opérations décrites plus haut afin d’agrandir ou réduire le fac similé obtenu et produire un instrument au diapason demandé soit 392 hertz.
Podcast CMBV – Les hautbois d'Atys
Ecoutez l'épisode 4 « Les hautbois d'Atys » du podcast « Une heure avec Atys » en compagnie de Benoît Dratwicki (chercheur et directeur artistique au CMBV), Neven Lesage (hautboïste, chargé de mission et membre du comité de pilotage du projet Hautbois pour le CMBV), et Nicolas Bucher (organiste et directeur général du CMBV) pour plonger dans l’histoire du hautbois baroque ainsi que dans le vaste chantier organologique lancé par le CMBV et l’IReMus (Institut de recherche en Musicologie), à l’occasion de la production d’Atys (2024).
Podcast Metaclassique #265 – Percer
Quand on a commencé à jouer sur instruments d’époques, il n’y avait pas beaucoup d’époques. Pendant que des orchestres se spécialisent dans le jeu sur instruments baroques et d’autres sur instruments romantiques, les recherches découvrent certaines lacunes. Et alors que les parties de hautbois de l’opéra Atys de Lully sont une page d’anthologie pour l’instrument, elles viennent d’une époque pour laquelle on connaît beaucoup moins la facture des hautbois. Non seulement les hautbois des années 1670 étaient bien différents des hautbois baroques consacrés du début du 18ème siècle, sans compter que ce qu’on savait des hautbois baroques depuis qu’on s’est remis à jouer de la musique baroque supposaient des adaptations de doigtés qui ont fini par infléchir et biaiser les copies d’ancien desdits hautbois. Pour mieux saisir l’enchevêtrement des problèmes qui se posent à qui veut retrouver le son des hautbois d’Atys de Lully, Metaclassique vous propose d’entendre la chercheuse Lola Soulier, mais aussi les hautboïstes Neven Lesage, Anabelle Guibeaud et Krzystof Lewandowski, mais encore le facteur de hautbois Olivier Clémence, ainsi que le musicologue Benoît Dratwicki, directeur artistique du Centre de Musique Baroque de Versailles où cette émission a été intégralement enregistré.
Une émission produite et réalisée par David Christoffel.