Chaque mois, le Centre de musique baroque de Versailles vous concocte une playlist thématique à écouter pour vous immerger dans le répertoire musical français des XVIIe et XVIIIe siècles. Bonne écoute !
Playlist audio #6
Par Julien Dubruque, chercheur et responsable éditorial du CMBV, et responsable scientifique du programme « La cantate française au XVIIIe siècle »
En 2015, la star coréenne Sunhae Im inclut dans son premier récital discographique les Orphée français de Clérambault et Rameau à côté des Orfeo italiens de Pergolèse et d’A. Scarlatti.
En 2018, l’un des ténors les plus admirables de notre temps, Reinoud van Mechelen, consacra carrément, lui, son deuxième récital discographique à l’intégralité des cantates pour haute-contre de Clérambault.
Comment en est-on arrivé là ? Il est stupéfiant de penser que les musicologues pionniers que furent l’Étatsunien Gene Vollen et l’Australien David Tunley ont écrit leurs sommes sur la cantate française dans les années 1970 quasiment sans en avoir entendu. Clérambault n’était naguère un nom connu que de quelques organistes chenus. Une étape importante fut franchie avec les Grandes Journées que le CMBV lui consacra en 1998, couronnées par la parution de la monographie de Catherine Cessac. Mais c’est bien le travail des musiciens du renouveau « baroque » qui a réhabilité non seulement le génie qu’était Clérambault, mais avec lui tout le genre de la cantate française, dont il était le plus éminent représentant. Comment oublier les disques révolutionnaires que les Arts florissants des temps héroïques consacrèrent dès 1986 aux cantates de Campra, puis à celles de Montéclair en 1988 ? Agnès Mellon y est toujours aussi déchirante.
Parmi tous ces pionniers (la playliste complète ferait des dizaines d’heures), citons par affection Isabelle Poulenard et Sophie Boulin, dans un sous-genre, la cantate biblique, en 1986.
Pour moi, tout a commencé il y a vingt ans exactement, à Académie internationale de musiques et de danses anciennes de Sablé-sur-Sarthe. Claveciniste amateur et débutant, j’étais venu passer des vacances divertissantes, entre une maîtrise d’histoire grecque et l’agrégation de lettres classiques, avec des camarades et amis avec qui nous passions notre temps à musiquer au lieu d’étudier ce que nous étions censés étudier.
J’étais alors encore imbu des préjugés du pianiste romantique lambda : que la musique instrumentale était la seule sérieuse, et que s’il fallait bien souffrir que le grand Bach eût composé tant de musique vocale, on n’avait heureusement pas besoin de prêter attention aux paroles, généralement consternantes, des passions et des cantates (du type : « Oui, je me réjouis de mourir flagellé par les orties imbibées de ton sang, etc. »), puisque, de toute façon, c’était en allemand. L’idée que l’on pût chanter en français ne semblait défendue que par Pascal Sevran ou Jean Meyrand (ici dans une reprise par Renaud, après sa disparition prématurée).
À Sablé, je me retrouvai désigné pour accompagner une cantatrice qui présentait La Mort de Didon de Montéclair. Mon manque d’enthousiasme s’évanouit dès le déchiffrage des premières mesures : la beauté du français classique chanté me fut soudain révélée par une Japonaise à la diction impeccable. Au cours du même stage, j’avais emprunté par hasard à la bibliothèque du conservatoire Jean-Philippe Rameau. Les Boréades ou la tragédie oubliée de Sylvie Bouissou, que je dévorai la nuit comme le roman policier qu’il est. Je ne le savais pas encore, mais mon destin était scellé.
L’année suivante, à l’Académie de musique baroque d’Amilly, mes amis et moi étions donc naturellement arrivés avec Orphée, la meilleure cantate de Clérambault (voir ci-dessus), et Le Berger fidèle, la meilleure cantate de Rameau.
Or, à Amilly, pour le concert inaugural des professeurs, Howard Crook avait choisi d’interpréter… Pyrame et Thisbé de Clérambault (voir ci-dessus) : je garde un souvenir toujours vif de ce concert et de cet immense artiste — qui n’a hélas pas enregistré de cantate française à ma connaissance.
Outre ces chefs d’œuvres incontestables, parmi lesquels il faudrait encore citer Héraclite et Démocrite de Stuck, déjà enregistré plusieurs fois.
… il reste tant à découvrir ! Plus de 1000 cantates imprimées et manuscrites dorment encore dans les bibliothèques. Christophe Rousset a ainsi eu le génie d’identifier, à un détail de chiffrage, la seule cantate de F. Couperin, que l’on croyait perdue.
Chantal Santon, à ce jour, a enregistré, dans un récital, le seul numéro d’une seule des sept cantates de Gervais, compositeur dont on commence à peine à réaliser l’ampleur du génie.
Eva Zaïcik propose elle aussi, dans son premier récital discographique, un magnifique extrait de Lefebvre, entre autres redécouvertes.
Le genre de la cantate française fut si prolifique qu’il engendra sa propre parodie, le célèbre Rien du tout de Grandval.