C’est un Atys résolument neuf que le CMBV entreprend de faire entendre avec la complicité d’Alexis Kossenko (Les Ambassadeurs - La Grande Écurie) et de Fabien Armengaud (Les Pages et les Chantres du CMBV). Une oeuvre de Lully qui révèlera des sonorités inouïes grâce aux recherches scientifiques et organologiques menées par les chercheurs du CMBV et leurs partenaires. Le CMBV s’est lancé dans la reconstruction de hautbois historiques, ainsi que dans une analyse de manuscrits récemment découverts.
Atys, tragédie en musique de Lully sur un livret de Quinault, suscite un intérêt exceptionnel de la part de Louis XIV, avant même sa création. Le roi assiste à plusieurs répétitions de l'œuvre, plus d’un mois avant sa première représentation, le 10 janvier 1676 à Saint-Germain-en-Laye. L’attachement du souverain à cet ouvrage aurait valu à Atys le qualificatif d’“opéra du roi”.
Son succès s’explique par la double qualité du livret –la déclaration d’amour de Sangaride à Atys à l’acte I compte aujourd’hui encore parmi les plus belles scènes de Quinault– et de la partition de Lully. Outre les chœurs pathétiques commentant dans le final le désespoir de Cybèle, une très grande attention est accordée à l’expressivité des récitatifs et à une remarquable variété d’airs. Lully réserve également à Sangaride une innovation dans sa production lyrique, au premier acte : l’accompagnement de la voix par une basse obstinée, conférant à la partie instrumentale un rôle obsessionnel, psychologique, propre à évoquer la passion amoureuse de la nymphe à l’égard d’Atys. La somptuosité de la réalisation scénique joue sans nul doute un grand rôle dans ce succès : décors grandioses, costumes fantasques, machines et présence d’une centaine d’interprètes appelés à paraître sur scène.
Malgré un premier accueil critique, Atys est repris par l’Académie royale de musique jusqu’en 1753. Son succès se prolonge pendant toute la première moitié du XVIIIe siècle lors de reprises dans diverses villes de province et hors du royaume.
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Carnet de bord
Ce carnet de bord retrace les recherches scientifiques qui ont donné lieu aux choix artistiques et techniques de la production d’Atys 2024. Rédigé par Benoît Dratwicki, chercheur et directeur artistique au CMBV et Neven Lesage (pour la partie hautbois), chargé de mission et membre du comité de pilotage du projet Hautbois, il est l’aboutissement d’une collaboration entre l’équipe artistique de la production et l’équipe scientifique du Centre de musique baroque de Versailles, des membres de l’IReMus et des chercheurs associés.
Découvrir le carnet de bord de la production
7 points essentiels à connaître sur Atys, tirés du carnet de bord réalisé par Benoît Dratwicki, chercheur et directeur artistique au CMBV, pour découvrir le vaste travail d’enquête que représente la recherche.
La distribution des chanteurs solistes
Dans l’opéra baroque français, et surtout à l'époque de Lully, chaque rôle est distribué davantage en fonction de sa nature théâtrale que de sa tessiture vocale. Pour les quatre rôles principaux d’Atys, les choix du CMBV se sont portés sur :
- Mathias Vidal pour Atys. Haute-taille au timbre touchant, ce chanteur semble s'inscrire dans la lignée directe de Clédière, premier ténor de la troupe et créateur du rôle en 1676. Malgré l'habitude prise depuis les années 1980 de confier Atys à une haute-contre, ce rôle - comme tous les premiers rôles de Lully - est fait pour une voix plus centrale de haute-taille.
- Sandrine Piau pour Sangaride. Distinguée par une longue carrière, sa voix brillante et claire convient parfaitement au rôle créé par Marie Aubry, première chanteuse de la troupe de l’Opéra.
- Véronique Gens pour Cybèle. Le rôle le plus dramatique d’Atys a été imaginé pour Mlle de Saint-Christophe, première chanteuse à la cour et à l’Opéra pour les rôles à baguette (reines et magiciennes). Il requiert une artiste charismatique à la voix centrale, timbrée et dramatique. Comme Mlle de Saint-Christophe, Véronique Gens peut se flatter d'une longue carrière.
- Tassis Christoyannis, pour Célénus, un rôle créé par Jean Gaye, baryton central (concordant), nécessitant noblesse, gravité et sensibilité.
Le Petit Chœur
Réduction du Grand Chœur, le Petit Chœur d’Atys comprend 9 instrumentistes qui jouent tous ensemble, sans effet d'instrumentation, du début à la fin des scènes en récitatifs, accompagnant la déclamation mais aussi les évolutions scéniques des chanteurs solistes. Il est composé de deux dessus de violons, dits « de ritournelle » (ou « violons d’accompagnement ») à qui l'on confie les préludes d'entrée en scène des personnages. Deux violes de gambe font office de parties intermédiaires ou de « remplissage », par un jeu harmonique improvisé, en doubles ou triples cordes, structurant l’harmonie et le rythme pour asseoir les fondamentaux du récitatif. Enfin, la ligne de basse est confiée à deux basses de violons et réalisée en accords par deux théorbes et un clavecin. Le Petit Chœur joue aussi dans les séquences chorales, qui sont pour la plupart également accompagnées par l'ensemble des instruments du Grand Chœur, dont les basses jouent une ligne mélodique parfois séparée et davantage mobile. En revanche, le Petit Chœur ne joue ni dans les danses ni dans l’ouverture.
Le Grand Chœur
Le Grand Chœur correspond au tutti de l'orchestre, à l'exclusion du continuo (le "Petit Chœur"), et des instruments à vent, encore indépendants à l'époque de Lully. Il pratique surtout le son collectif et la doublure. Les deux violons du Petit Chœur, outre leur rôle de soliste, guident aussi le Grand Chœur, s’apparentant aux chefs d’attaque et de pupitre modernes.
Pour la création d’Atys, Lully dispose de la Grande Bande (les fameux Vingt-Quatre Violons du roi), de la Petite Bande (ou Petits Violons) qui mêlent cordes et vents, de la Bande de Violons et des vents de la Musique de l’Écurie, soit un total de plus de 80 musiciens. Cela ne signifie pas que tous aient joué ensemble ; on sait, par exemple que 9 des Vingt-Quatre Violons (qui étaient tous Maîtres à danser en plus d'être violonistes), sont sur scène comme danseurs lors de la création de l'œuvre, leurs noms étant notés dans le livret.
Le CMBV a fait le choix d’utiliser un ensemble correspondant aux Vingt-Quatre Violons du roi, emblème de la cour dans le Royaume et à l’étranger. Cet orchestre était structuré en cinq pupitres (6 dessus, 4 hautes-contre, 4 tailles, 4 quintes et 6 basses de violon). Cet effectif accentue le rôle des parties intermédiaires. Les dessus de violon, peu nombreux, ne sont doublés ni par les flûtes ni par les hautbois contrairement aux habitudes d’interprétation depuis les années 1980.
Il faut ajouter à cet effectif de cordes des vents ainsi que des percussions (castagnettes, timbales et tambours de basque) qui colorent certaines séquences.
Les vents
Pour les spectacles de la cour, les vents sont composés de « hauts instruments » de plein-air, issus de la Musique de l’Écurie du roi, l’un des trois corps dévolus à la vie musicale de la cour. On trouve hautbois, cromornes et musettes, présents dans Atys, mais aussi des trompettes.
Les termes « cromornes » et « hautbois » désignent les instruments d’une seule et même famille. Si les tailles et les basses de cromornes déclinent dans les années 1680, le hautbois et le basson sont alors en pleine évolution morphologique, Lully participant sans doute à ce renouveau organologique.
Le CMBV s’est associé à l’IreMus et au musée de la Musique pour lancer un vaste chantier de reconstruction de hautbois et de cromornes, afin d’approcher le son des consorts d’anches doubles comme on en trouve dans Atys.
Ont été ainsi reconstruits à partir d’originaux encore conservés 5 dessus de hautbois, 2 tailles et 1 basse de cromorne. L’orchestre comptera aussi 6 flûtes à bec, 2 flûtes traversières et 1 musette pour colorer certaines séquences.
La spatialisation
Dans l'opéra français tel qu'on le joue à la cour, il existe deux espaces de jeu pour les instrumentistes : la fosse (inventée par Lully), et la scène. Les vents sont toujours en scène durant les représentations devant le roi ; ils entrent avec les chanteurs et danseurs. Costumés, ils participent au spectacle, jouant sans partition et interagissant avec les autres artistes sur le plateau.
La fosse est réservée au Grand Chœur (l'orchestre à cordes) et au Petit Chœur (le continuo). Ce dernier groupe interagit étroitement avec les chanteurs solistes et les musiciens qu'il accompagne durant une grande partie de la représentation.
Lully imagine également des effets de lointain qui élargissent le champ sonore du spectateur en faisant intervenir le chœur ou les vents depuis les coulisses.
Mais son invention la plus marquante reste l’utilisation simultanée de plusieurs chœurs. Cette polychoralité se retrouve dès le prologue d’Atys (avec quatre chœurs superposés), ainsi que dans la dernière scène, où le chœur se scinde en deux groupes : Divinités des bois et Nymphes des eaux d'un côté ; Corybantes de l'autre. Leurs interventions distinctes, accompagnées par le Petit Chœur ou par tout l’orchestre, permettent un jeu d’alternance musicale, d’opposition spatiale et de superposition lorsque tout le chœur, redevenu un, joint sa voix à celle de Cybèle.
Le chœur
Avant l'invention de l’opéra en France, les chœurs sont rares dans les spectacles de cour. Avec le développement de ce genre, le chœur participe désormais au spectacle visuel et sonore, rappelant et magnifiant par sa structure l'étiquette établie à la cour. Il mêle des voix de femmes aux voix d’enfants pour les parties de dessus - grande révolution pour l’époque. En effet, avant 1671 le chœur était exclusivement masculin. Les hommes sont répartis en hautes-contre, tailles et basses.
À l'Opéra de Paris, le chœur est disposé en fer à cheval sur le pourtour de la scène, les dessus à l’avant, prolongés par les basses, puis les tailles et les hautes-contre. Cette disposition a été conservée pour la production d'Atys en 2024.
La constitution du chœur est très variée, chaque acte faisant appel à un nombre différent de choristes et à une répartition différente des voix. La liste des choristes a pu être reconstituée pour l’Atys de 1676 et la production de 2024 respecte scrupuleusement cette répartition :
- Prologue : Prologue : 11 dessus (dont 5 enfants), 10 hautes-contre, 7 tailles, 9 basses-tailles
- Acte I : 7 dessus (dont 2 enfants), 6 hautes-contre, 2 tailles, 4 basses-tailles
- Acte II : 7 dessus (dont 5 enfants), 4 hautes-contre, 2 tailles, 6 basses-tailles
- Acte III : 3 hautes-contre, 3 tailles, 4 basses-tailles
- Acte IV : 6 dessus (dont 2 enfants), 3 hautes-contre, 2 tailles, 5 basses-tailles
- Acte V : 10 dessus (dont 4 enfants), 7 hautes-contre, 4 tailles, 6 basses-tailles.
Les questions d’interprétation
C’est dans ses tragédies lyriques que Lully opère une grande réforme du chant français rejetant l’ornementation exubérante telle qu’on la pratiquait jusque-là aussi bien dans les airs de salon que dans les ballets de cour, Lully choisit de mettre le théâtre et le texte en avant. Fasciné par la déclamation de la Champsmeslée, actrice à la mode, il tente de la reproduire par sa notation musicale en s’attachant à la vitesse d’élocution, à la juste alternance des longues et des brèves, et à une accentuation rhétorique. Il limite l’usage des agréments autant que celui des diminutions, souhaitant que son récitatif soit « tout unis ».
Dans cet esprit, la production d’Atys s’est proposé un travail de déclamation épuré, limitant l’usage des ornements ordinaires (tremblements et ports de voix), le réservant à certains rôles ou à certaines situations théâtrales seulement, pour en faire non pas un élément de style, mais un élément de caractérisation : « Médée ne doit pas chanter comme une bergère », rappelle Bérard dans son traité L’Art du chant.
Ce travail sur la déclamation est d’autant plus important dans les premiers opéras de Lully – dont fait partie Atys – que ceux-ci sont majoritairement composés de récitatifs chantés avec l’accompagnement de la seule basse continue. En l’absence de sources catégoriques, on a fait le choix du respect de la mesure, d’un débit plutôt rapide et cadencé, ainsi que d’une articulation et d’une accentuation fermes.
Biographie de Lully
Lully naît le 28 novembre 1632 à Florence et y reçoit une partie de son éducation : il apprend le violon ainsi que la lecture et la composition. En 1646, il part pour la France en compagnie du chevalier de Guise où il entre au service d’Anne-Marie-Louise d’Orléans, cousine de Louis XIV, pour converser avec elle en italien. Il reçoit alors des leçons de danse. Lully retient très tôt l’attention de Louis XIV et obtient en 1653 un brevet de compositeur de la musique instrumentale du roi. Lully devient son musicien favori. Il compose de nombreux ballets de cour avec Buti ou Bensérade, des comédies-ballets en collaboration avec Molière ou encore de la musique sacrée, notamment des grands motets. En 1672, il obtient le privilège d’établir une Académie royale de musique ainsi que le monopole du genre opératique. Cette mainmise sur l’activité lyrique lui vaut des inimitiés ; il se brouille avec Molière. Le privilège est toutefois assoupli par une ordonnance. Il crée, avec Quinault, le genre de la tragédie en musique dont le premier exemple est Cadmus et Hermione en 1673. Il compose de nombreuses autres œuvres de ce genre, sur des sujets mythologiques – comme Alceste (1674), Thésée (1675) ou encore Atys (1676) – et ce jusqu’en 1687, année de sa mort. Il est considéré comme le grand représentant de la musique française à la cour de Louis XIV et influence d’autres figures de l’histoire de la musique : Marin Marais, Marc-Antoine Charpentier, Jean-Philippe Rameau, Christoph Willibald Gluck et au-delà des frontières du royaume, Henry Purcell, Georg Philipp Telemann, Jean-Sébastien Bach, Georg Friedrich Haendel ou Antonio Vivaldi.
Synopsis
Tiré du quatrième livre des Fastes d’Ovide, le livret de Quinault, rédigé pour répondre au répertoire lyrique de l’époque, révèle un sujet considérablement étoffé par rapport au récit hérité de l’Antiquité. Contrairement aux opéras antérieurs de Lully, les principaux rôles ne sont plus uniquement des mortels, mais campent désormais, en partie, des divinités.
Prologue
Dans son palais, le Temps paraît au milieu des Heures du jour et de la nuit. Avec Flore, il rend hommage à Louis XIV, tandis que Melpomène, muse de la tragédie, annonce le sujet de l’opéra. Cybèle lui a en effet demandé de retracer « dans une illustre cour » l’histoire du bel Atys (divertissement).
Acte I
Atys, favori du roi de Phrygie Célénus, est chargé d’ordonner une grande fête en l’honneur de Cybèle. Il partage avec sa parente Sangaride un amour secret qu’ils vont s’avouer l’un à l’autre, le jour où elle doit épouser Célénus. Les amants se plaignent de leur sort, puis la cérémonie, qu’ils ont préparée, commence (divertissement). Cybèle invite l’assistance à la suivre dans son temple où elle doit choisir un sacrificateur.
Acte II
Dans ce lieu sacré, Célénus, qui souhaite être nommé par la déesse, a remarqué le trouble de Sangaride. Rassuré par Atys, il apprend ensuite que celui-ci a été retenu pour être sacrificateur. Cybèle avoue à sa confidente Mélisse son choix : elle a succombé au charme du jeune Phrygien. À tous les peuples de la terre, elle demande de le révérer (divertissement).
Acte III
Dans le palais qui lui est désormais réservé, Atys subit les avances de Cybèle. Durant son sommeil, les Songes agréables et funestes lui font connaître les avantages et les inconvénients, auxquels il doit s’attendre selon qu’il accepte ou refuse l’amour de la déesse (divertissement). À son réveil, celle-ci lui confirme les intentions qu’elle a laissées entrevoir pendant qu’il dormait et consent à recevoir Sangaride dans son temple
Acte IV
La fille du fleuve Sangar, croyant qu’Atys s’est laissé séduire par Cybèle, décide par dépit d’épouser Célénus. Les noces sont organisées en présence de son père et d’une troupe de Fleuves, de Ruisseaux et de Divinités de fontaines (divertissement). Après avoir refusé de célébrer cette union, Atys use du pouvoir conféré par Cybèle pour appeler des Zéphyrs qui l’enlèvent avec Sangaride dans les airs.
Acte V
Les plaintes de Célénus convainquent Cybèle de l’amour d’Atys et de Sangaride. Pour se venger, elle fait perdre la raison au jeune Phrygien et le pousse à tuer Sangaride dans une crise de folie. Quand il reprend ses esprits, il réalise son crime et de désespoir, se suicide. Prise de remords, la déesse, ne pouvant le ressusciter, le transforme en pin, auquel viennent rendre hommage les Divinités des bois et des eaux, accompagnées de Corybantes (divertissement).
Livret
Ouverture
PROLOGUE
Le Théâtre représente le palais du Temps, où ce dieu paraît au milieu des douze Heures du jour, et des douze Heures de la nuit.
LE TEMPS
En vain j’ai respecté la célèbre mémoire
Des héros des siècles passés ;
C’est en vain que leurs noms si fameux dans l’histoire,
Du sort des noms communs ont été dispensés :
Nous voyons un héros dont la brillante gloire
Les a presque tous effacés.
CHŒUR DES HEURES
Ses justes lois,
Ses grands exploits
Rendent sa mémoire éternelle :
Chaque jour, chaque instant
Ajoute encore à son nom éclatant
Une gloire nouvelle.
Premier Air pour la Suite de Flore
La Déesse Flore conduite par un des Zéphirs s’avance avec une troupe de Nymphes qui portent divers ornements de fleurs.
LE TEMPS
La saison des frimas peut-elle nous offrir
Les fleurs que nous voyons paraître ?
Quel dieu les fait renaître
Lorsque l’hiver les fait mourir ?
Le froid cruel règne encore ;
Tout est glacé dans les champs,
D’où vient que Flore
Devance le printemps ?
FLORE
Quand j’attends les beaux jours, je viens toujours trop tard,
Plus le printemps s’avance, et plus il m’est contraire ;
Son retour presse le départ
Du héros à qui je veux plaire.
Pour lui faire ma cour, mes soins ont entrepris
De braver désormais l’hiver le plus terrible,
Dans l’ardeur de lui plaire on a bientôt appris
À ne rien trouver d’impossible.
LE TEMPS ET FLORE
Les plaisirs à ses yeux ont beau se présenter,
Sitôt qu’il voit Bellone, il quitte tout pour elle ;
Rien ne peut l’arrêter
Quand la gloire l’appelle.
CHŒUR DES HEURES
Rien ne peut l’arrêter
Quand la gloire l’appelle.
La Suite de Flore commence des jeux mêlés de danses et de chants.
Air pour la Suite de Flore
UN ZEPHIR
Le printemps, quelquefois, est moins doux qu’il ne semble,
Il fait trop payer ses beaux jours ;
Il vient pour écarter les jeux et les amours,
Et c’est l’hiver qui les rassemble.
Air pour la Suite de Flore
Melpomène, qui est la muse qui préside à la tragédie, vient accompagnée d’une troupe de héros ; elle est suivie d’Hercule, d’Antée, de Castor, de Pollux, de Lyncée, d’Idas, d’Étéocle, et de Polynice.
MELPOMENE, parlant à Flore
Retirez-vous, cessez de prévenir le Temps ;
Ne me dérobez point de précieux instants :
La puissante Cybèle
Pour honorer Atys, qu’elle a privé du jour,
Veut que je renouvelle,
Dans une illustre cour,
Le souvenir de son amour.
Que l’agrément rustique
De Flore et de ses jeux,
Cède à l’appareil magnifique
De la muse tragique
Et de ses spectacles pompeux.
Air pour la Suite de Melpomène
La Suite de Melpomène prend la place de la Suite de Flore. Les héros recommencent leurs anciennes querelles. Hercule combat et lutte contre Antée, Castor et Pollux combattent contre Lyncée et Idas, et Étéocle combat contre son frère Polynice.
Ritournelle
Iris, par l’ordre de Cybèle, descend assise sur son arc, pour accorder Melpomène et Flore.
IRIS, parlant à Melpomène
Cybèle veut que Flore aujourd’hui vous seconde.
Il faut que les plaisirs viennent de toutes parts,
Dans l’empire puissant, où règne un nouveau Mars,
Ils n’ont plus d’autre asile au monde.
Rendez-vous, s’il se peut, dignes de ses regards ;
Joignez la beauté vive et pure
Dont brille la nature,
Aux ornements des plus beaux arts.
Iris remonte au ciel sur son arc, et la Suite de Melpomène s’accorde avec la Suite de Flore.
MELPOMENE ET FLORE
Rendons-nous, s’il se peut, dignes de ses regards ;
Joignons la beauté vive et pure
Dont brille la nature,
Aux ornements des plus beaux arts.
FLORE, MELPOMENE, LE TEMPS ET LE CHŒUR DES HEURES
Préparez/Préparons de nouvelles fêtes,
Profitez/Profitons du loisir du plus grand des héros ;
FLORE, MELPOMENE, LE TEMPS ET TOUS LES CHŒUR
Le temps des jeux et du repos,
Lui sert à méditer de nouvelles conquêtes.
Menuet
FLORE, MELPOMENE, LE TEMPS ET LE CHŒUR DES HEURES
Préparez/Préparons de nouvelles fêtes,
Profitez/Profitons du loisir du plus grand des héros ;
FLORE, MELPOMENE, LE TEMPS ET TOUS LES CHŒUR
Le temps des jeux et du repos,
Lui sert à méditer de nouvelles conquêtes.
On reprend l’Ouverture pour entracte.
ACTE PREMIER
La scène est en Phrygie.
Le théâtre représente une montagne consacrée à Cybèle.
SCÈNE PREMIÈRE
Atys.
Ritournelle
ATYS
Allons, allons, accourez tous,
Cybèle va descendre.
Trop heureux Phrygiens, venez ici l’attendre.
Mille peuples seront jaloux
Des faveurs que sur nous
Sa bonté va répandre.
SCÈNE SECONDE
Atys, Idas.
ATYS, IDAS
Allons, allons, accourez tous,
Cybèle va descendre.
ATYS
Le soleil peint nos champs des plus vives couleurs,
Il a séché les pleurs
Que sur l’émail des prés a répandu l’aurore ;
Et ses rayons nouveaux ont déjà fait éclore
Mille nouvelles fleurs.
IDAS
Vous veillez lorsque tout sommeille ;
Vous nous éveillez si matin,
Que vous ferez croire à la fin
Que c’est l’Amour qui vous éveille.
ATYS
Non, tu dois mieux juger du parti que je prends.
Mon cœur veut fuir toujours les soins et les mystères ;
J’aime l’heureuse paix des cœurs indifférents ;
Si leurs plaisirs ne sont pas grands,
Au moins leurs peines sont légères.
IDAS
Tôt ou tard l’amour est vainqueur,
En vain les plus fiers s’en défendent.
On ne peut refuser son cœur
À de beaux yeux qui le demandent.
Atys, ne feignez plus, je sais votre secret.
Ne craignez rien, je suis discret.
Dans un bois solitaire et sombre,
L’indifférent Atys se croyait seul, un jour ;
Sous un feuillage épais où je rêvais à l’ombre,
Je l’entendis parler d’amour.
ATYS
Si je parle d’amour, c’est contre son empire,
J’en fais mon plus doux entretien.
IDAS
Tel se vante de n’aimer rien,
Dont le cœur en secret soupire.
J’entendis vos regrets, et je les sais si bien
Que si vous en doutez je vais vous les redire.
Amants qui vous plaignez, vous êtes trop heureux :
Mon cœur de tous les cœurs est le plus amoureux,
Et tout près d’expirer je suis réduit à feindre ;
Que c’est un tourment rigoureux
De mourir d’amour sans se plaindre !
Amants qui vous plaignez, vous êtes trop heureux.
ATYS
Idas, il est trop vrai, mon cœur n’est que trop tendre,
L’Amour me fait sentir ses plus funestes coups.
Qu’aucun autre que toi n’en puisse rien apprendre.
SCÈNE TROISIÈME
Sangaride, Doris, Atys, Idas.
SANGARIDE ET DORIS
Allons, allons, accourez tous,
Cybèle va descendre.
SANGARIDE
Que dans nos concerts les plus doux,
Son nom sacré se fasse entendre.
ATYS
Sur l’univers entier son pouvoir doit s’étendre.
SANGARIDE
Les Dieux suivent ses lois et craignent son courroux.
SANGARIDE, DORIS, ATYS ET IDAS
Quels honneurs ! quels respects ne doit-on point lui rendre ?
Allons, allons, accourez tous,
Cybèle va descendre.
SANGARIDE
Écoutons les oiseaux de ces bois d’alentour,
Ils remplissent leurs chants d’une douceur nouvelle.
On dirait que dans ce beau jour,
Ils ne parlent que de Cybèle.
ATYS
Si vous les écoutez, ils parleront d’amour.
Un roi redoutable,
Amoureux, aimable,
Va devenir votre époux ;
Tout parle d’amour pour vous.
SANGARIDE
Il est vrai, je triomphe, et j’aime ma victoire.
Quand l’Amour fait régner, est-il un plus grand bien ?
Pour vous, Atys, vous n’aimez rien,
Et vous en faites gloire.
ATYS
L’amour fait trop verser de pleurs ;
Souvent ses douceurs sont mortelles :
Il ne faut regarder les belles
Que comme on voit d’aimables fleurs.
J’aime les roses nouvelles,
J’aime les voir s’embellir,
Sans leurs épines cruelles,
J’aimerais à les cueillir.
SANGARIDE
Quand le péril est agréable,
Le moyen de s’en alarmer ?
Est-ce un grand mal de trop aimer
Ce que l’on trouve aimable ?
Peut-on être insensible aux plus charmants appas ?
ATYS
Non, vous ne me connaissez pas.
Je me défends d’aimer autant qu’il m’est possible ;
Si j’aimais, un jour, par malheur,
Je connais bien mon cœur
Il serait trop sensible.
Mais il faut que chacun s’assemble près de vous,
Cybèle pourrait nous surprendre.
ATYS ET IDAS
Allons, allons, accourez tous,
Cybèle va descendre.
SCÈNE QUATRIÈME
Sangaride, Doris.
SANGARIDE
Atys est trop heureux.
DORIS
L’amitié fut toujours égale entre vous deux,
Et le sang d’assez près vous lie :
Quel que soit son bonheur, lui portez-vous envie ?
Vous, qu’aujourd’hui l’hymen avec de si beaux nœuds
Doit unir au Roi de Phrygie ?
SANGARIDE
Atys, est trop heureux.
Souverain de son cœur, maître de tous ses vœux,
Sans crainte, sans mélancolie,
Il jouit en repos des beaux jours de sa vie ;
Atys ne connaît point les tourments amoureux,
Atys est trop heureux.
DORIS
Quel mal vous fait l’Amour ? votre chagrin m’étonne.
SANGARIDE
Je te fie un secret qui n’est su de personne.
Je devrais aimer un amant
Qui m’offre une couronne ;
Mais, hélas ! vainement
Le Devoir me l’ordonne,
L’Amour, pour mon tourment,
En ordonne autrement.
DORIS
Aimeriez-vous Atys, lui dont l’indifférence
Brave avec tant d’orgueil l’Amour et sa puissance ?
SANGARIDE
J’aime Atys en secret, mon crime est sans témoin.
Pour vaincre mon amour, je mets tout en usage,
J’appelle ma raison, j’anime mon courage ;
Mais à quoi servent tous mes soins ?
Mon cœur en souffre davantage,
Et n’en aime pas moins.
DORIS
C’est le commun défaut des belles.
L’ardeur des conquêtes nouvelles
Fait négliger les cœurs qu’on a trop tôt charmés,
Et les indifférents sont quelquefois aimés
Aux dépens des amants fidèles.
Mais vous vous exposez à des peines cruelles.
SANGARIDE
Toujours aux yeux d’Atys je serai sans appas ;
Je le sais, j’y consens, je veux, s’il est possible,
Qu’il soit encor plus insensible ;
S’il me pouvait aimer, que deviendrais-je ? hélas !
C’est mon plus grand bonheur qu’Atys ne m’aime pas.
Je prétends être heureuse, au moins, en apparence ;
Au destin d’un grand Roi je me vais attacher.
SANGARIDE ET DORIS
Un amour malheureux dont le devoir s’offense,
Se doit condamner au silence ;
Un amour malheureux qu’on nous peut reprocher,
Ne saurait trop bien se cacher.
SCÈNE CINQUIÈME
Sangaride, Doris, Atys.
ATYS
On voit dans ces campagnes
Tous nos Phrygiens s’avancer.
DORIS
Je vais prendre soin de presser
Les Nymphes nos compagnes.
SCÈNE SIXIÈME
Sangaride, Atys.
ATYS
Sangaride, ce jour est un grand jour pour vous.
SANGARIDE
Nous ordonnons tous deux la fête de Cybèle,
L’honneur est égal entre nous.
ATYS
Ce jour même, un grand Roi doit être votre époux,
Je ne vous vis jamais si contente et si belle ;
Que le sort du Roi sera doux !
SANGARIDE
L’indifférent Atys n’en sera point jaloux.
ATYS
Vivez tous deux contents, c’est ma plus chère envie ;
J’ai pressé votre hymen, j’ai servi vos amours.
Mais enfin ce grand jour, le plus beau de vos jours,
Sera le dernier de ma vie.
SANGARIDE
Ô dieux !
ATYS
Ce n’est qu’à vous que je veux révéler
Le secret désespoir où mon malheur me livre ;
Je n’ai que trop su feindre, il est temps de parler ;
Qui n’a plus qu’un moment à vivre,
N’a plus rien à dissimuler.
SANGARIDE
Je frémis, ma crainte est extrême ;
Atys, par quel malheur faut-il vous voir périr ?
ATYS
Vous me condamnerez vous-même,
Et vous me laisserez mourir.
SANGARIDE
J’armerai, s’il se faut, tout le pouvoir suprême…
ATYS
Non, rien ne me peut secourir,
Je meurs d’amour pour vous, je n’en saurais guérir ;
SANGARIDE
Quoi ? vous ?
ATYS
Il est trop vrai.
SANGARIDE
Vous m’aimez ?
ATYS
Je vous aime.
Vous me condamnerez vous-même,
Et vous me laisserez mourir.
J’ai mérité qu’on me punisse,
J’offense un rival généreux,
Qui par mille bienfaits a prévenu mes vœux :
Mais je l’offense en vain, vous lui rendez justice ;
Ah ! que c’est un cruel supplice
D’avouer qu’un rival est digne d’être heureux !
Prononcez mon arrêt, parlez sans vous contraindre.
SANGARIDE
Hélas !
ATYS
Vous soupirez… je vois couler vos pleurs…
D’un malheureux amour plaignez-vous les douleurs ?
SANGARIDE
Atys, que vous seriez à plaindre
Si vous saviez tous vos malheurs !
ATYS
Si je vous perds et si je meurs,
Que puis-je encore avoir à craindre ?
SANGARIDE
C’est peu de perdre en moi ce qui vous a charmé,
Vous me perdez, Atys, et vous êtes aimé.
ATYS
Aimé ! qu’entends-je ? ô Ciel ! quel aveu favorable !
SANGARIDE
Vous en serez plus misérable.
ATYS
Mon malheur en est plus affreux,
Le bonheur que je perds doit redoubler ma rage ;
Mais n’importe, aimez-moi, s’il se peut, d’avantage,
Quand j’en devrais mourir cent fois plus malheureux.
SANGARIDE
Si vous cherchez la mort, il faut que je vous suive ;
Vivez, c’est mon amour qui vous en fait la loi.
ATYS
Eh comment ! eh pourquoi
Voulez-vous que je vive,
Si vous ne vivez pas pour moi ?
SANGARIDE ET ATYS
Si l’hymen unissait mon destin et le vôtre,
Que ses nœuds auraient eu d’attraits !
L’Amour fit nos cœurs l’un pour l’autre,
Faut-il que le devoir les sépare à jamais ?
ATYS
Devoir impitoyable !
Ah quelle cruauté !
SANGARIDE
On vient, feignez encor, craignez d’être écouté.
ATYS
Aimons un bien plus durable
Que l’éclat de la beauté :
Rien n’est plus aimable
Que la liberté.
SCÈNE SEPTIÈME
Sangaride, Doris, Atys, Idas, Peuples phrygiens.
ATYS
Mais déjà de ce mont sacré
Le sommet paraît éclairé
D’une splendeur nouvelle.
SANGARIDE, s’avançant vers la montagne
La Déesse descend, allons au devant d’elle.
SANGARIDE ET ATYS
Commençons, commençons
De célébrer ici sa fête solennelle,
Commençons, commençons
Nos jeux et nos chansons.
CHŒUR DES PHRYGIENS
Commençons, commençons
Nos jeux et nos chansons.
SANGARIDE ET ATYS
Il est temps que chacun fasse éclater son zèle.
Venez, Reine des Dieux, venez,
Venez, favorable Cybèle.
CHŒUR DES PHRYGIENS
Venez, Reine des Dieux, venez,
Venez, favorable Cybèle.
ATYS
Quittez votre cour immortelle,
Choisissez ces lieux fortunés
Pour votre demeure éternelle.
CHŒUR DES PHRYGIENS
Venez, Reine des Dieux, venez.
SANGARIDE
La Terre sous vos pas va devenir plus belle
Que le séjour des Dieux que vous abandonnez.
CHŒUR DES PHRYGIENS
Venez, favorable Cybèle.
ATYS ET SANGARIDE
Venez voir les autels qui vous sont destinés.
SANGARIDE, DORIS, ATYS, IDAS ET LE CHŒUR DES PHRYGIENS
Écoutez un peuple fidèle
Qui vous appelle.
Venez Reine des Dieux, venez,
Venez favorable Cybèle.
Premier et Deuxième Air pour les Phrygiens
SCÈNE HUITIÈME
La déesse Cybèle paraît sur son char, et les Phrygiens lui témoignent leur joie et leur respect.
Prélude pour la descente de Cybèle
CYBELE, sur son char
Venez tous dans mon temple, et que chacun révère
Le sacrificateur dont je vais faire choix :
Je m’expliquerai par sa voix,
Les vœux qu’il m’offrira seront sûrs de me plaire.
Je reçois vos respects ; j’aime à voir les honneurs
Dont vous me présentez un éclatant hommage,
Mais l’hommage des cœurs
Est ce que j’aime davantage.
Vous devez vous animer
D’une ardeur nouvelle,
S’il faut honorer Cybèle,
Il faut encor plus l’aimer.
Cybèle, portée par son char volant, se va rendre dans son temple. Tous les Phrygiens s’empressent d’y aller et répètent les quatre derniers vers que la Déesse a prononcés.
CHŒURS DES PHRYGIENS
Nous devons nous animer
D’une ardeur nouvelle,
S’il faut honorer Cybèle,
Il faut encor plus l’aimer.
On reprend le deuxième Air des Phrygiens pour entracte.
ACTE SECOND
Le théâtre change et représente le Temple de Cybèle.
SCÈNE PREMIÈRE
Célénus roi de Phrygie, Atys, Suivants de Célénus.
Ritournelle
CELENUS
N’avancez pas plus loin, ne suivez point mes pas ;
Sortez. Toi ne me quitte pas.
Atys, il faut attendre ici que la Déesse
Nomme un grand sacrificateur.
ATYS
Son choix sera pour vous, seigneur ; quelle tristesse
Semble avoir surpris votre cœur ?
CELENUS
Les rois les plus puissants connaissent l’importance
D’un si glorieux choix :
Qui pourra l’obtenir étendra sa puissance
Partout où de Cybèle on révère les lois.
ATYS
Elle honore aujourd’hui ces lieux de sa présence,
C’est pour vous préférer aux plus puissants des Rois.
CELENUS
Mais quand j’ai vu tantôt la beauté qui m’enchante,
N’as-tu point remarqué comme elle était tremblante ?
ATYS
À nos jeux, à nos chants, j’étais trop appliqué,
Hors la fête, Seigneur, je n’ai rien remarqué.
CELENUS
Son trouble m’a surpris. Elle t’ouvre son âme ;
N’y découvres-tu point quelque secrète flamme ?
Quelque rival caché ?
ATYS
Seigneur, que dites-vous ?
CELENUS
Le seul nom de rival allume mon courroux.
J’ai bien peur que le Ciel n’ait pu voir sans envie
Le bonheur de ma vie,
Et si j’étais aimé mon sort serait trop doux.
Ne t’étonne point tant de voir la jalousie
Dont mon âme est saisie,
On ne peut bien aimer sans être un peu jaloux.
ATYS
Seigneur, soyez content, que rien ne vous alarme ;
L’hymen va vous donner la beauté qui vous charme,
Vous serez son heureux époux.
CELENUS
Tu peux me rassurer, Atys, je te veux croire,
C’est son cœur que je veux avoir,
Dis-moi s’il est en mon pouvoir ?
ATYS
Son cœur suit avec soin le devoir et la gloire,
Et vous avez pour vous la gloire et le devoir.
CELENUS
Ne me déguise point ce que tu peux connaître.
Si j’ai ce que j’aime en ce jour,
L’hymen seul m’en rend-il le maître ?
La gloire et le devoir auront tout fait, peut-être,
Et ne laissent pour moi rien à faire à l’amour.
ATYS
Vous aimez d’un amour trop délicat, trop tendre.
CELENUS
L’indifférent Atys ne le saurait comprendre.
ATYS
Qu’un indifférent est heureux !
Il jouit d’un destin paisible.
Le ciel fait un présent bien cher, bien dangereux,
Lorsqu’il donne un cœur trop sensible.
CELENUS
Quand on aime bien tendrement
On ne cesse jamais de souffrir, et de craindre ;
Dans le bonheur le plus charmant,
On est ingénieux à se faire un tourment,
Et l’on prend plaisir à se plaindre.
Va, songe à mon hymen, et vois si tout est prêt,
Laisse-moi seul ici, la Déesse paraît.
SCÈNE SECONDE
Cybèle, Célénus, Mélisse, troupe de Prêtresses de Cybèle.
Prélude
CYBELE
Je veux joindre en ces lieux la gloire et l’abondance,
D’un sacrificateur je veux faire le choix,
Et le Roi de Phrygie aurait la préférence
Si je voulais choisir entre les plus grands rois.
Le puissant dieu des flots vous donna la naissance,
Un peuple renommé s’est mis sous votre loi ;
Vous avez sans mes soins, d’ailleurs, trop de puissance,
Je veux faire un bonheur qui ne soit dû qu’à moi.
Vous estimez Atys, et c’est avec justice,
Je prétends que mon choix à vos vœux soit propice,
C’est Atys que je veux choisir.
CELENUS
J’aime Atys, et je vois sa gloire avec plaisir.
Je suis Roi, Neptune est mon père,
J’épouse une beauté qui va combler mes vœux :
Le souhait qui me reste à faire,
C’est de voir mon ami parfaitement heureux.
CYBELE
Il m’est doux que mon choix à vos désirs réponde ;
Une grande divinité
Doit faire sa félicité
Du bien de tout le monde.
Mais surtout le bonheur d’un roi chéri des cieux
Fait le plus doux plaisir des Dieux.
CELENUS
Le sang approche Atys de la Nymphe que j’aime,
Son mérite l’égale aux rois :
Il soutiendra mieux que moi-même
La majesté suprême
De vos divines lois.
Rien ne pourra troubler son zèle,
Son cœur s’est conservé libre jusqu’à ce jour ;
Il faut tout un cœur pour Cybèle,
À peine tout le mien peut suffire à l’amour.
CYBELE
Portez à votre ami la première nouvelle
De l’honneur éclatant où ma faveur l’appelle.
SCÈNE TROISIÈME
Cybèle, Mélisse.
CYBELE
Tu t’étonnes, Mélisse, et mon choix te surprend ?
MELISSE
Atys vous doit beaucoup, et son bonheur est grand.
CYBELE
J’ai fait encor pour lui plus que tu ne peux croire.
MELISSE
Est-il pour un mortel un rang plus glorieux ?
CYBELE
Tu ne vois que sa moindre gloire ;
Ce mortel dans mon cœur est au-dessus des Dieux.
Ce fut au jour fatal de ma dernière fête
Que de l’aimable Atys je devins la conquête :
Je partis à regret pour retourner aux Cieux,
Tout m’y parut changé, rien n’y plut à mes yeux.
Je sens un plaisir extrême
À revenir dans ces lieux ;
Où peut-on jamais être mieux,
Qu’aux lieux où l’on voit ce qu’on aime.
MELISSE
Tous les Dieux ont aimé, Cybèle aime à son tour.
Vous méprisiez trop l’Amour,
Son nom vous semblait étrange,
À la fin il vient un jour
Où l’Amour se venge.
CYBELE
J’ai cru me faire un cœur maître de tout son sort,
Un cœur toujours exempt de trouble et de tendresse.
MELISSE
Vous braviez à tort
L’Amour qui vous blesse ;
Le cœur le plus fort
A des moments de faiblesse.
Mais vous pouviez aimer, et descendre moins bas.
CYBELE
Non, trop d’égalité rend l’amour sans appas.
Quel plus haut rang ai-je à prétendre ?
Et de quoi mon pouvoir ne vient-il point à bout ?
Lorsqu’on est au-dessus de tout,
On se fait pour aimer un plaisir de descendre.
Je laisse aux Dieux les biens dans le Ciel préparés,
Pour Atys, pour son cœur, je quitte tout sans peine,
S’il m’oblige à descendre, un doux penchant m’entraîne ;
Les cœurs que le destin à le plus séparés,
Sont ceux qu’Amour unit d’une plus forte chaîne.
Fais venir le Sommeil ; que lui-même en ce jour,
Prenne soin ici de conduire
Les Songes qui lui font la cour ;
Atys ne sait point mon amour,
Par un moyen nouveau je prétends l’en instruire.
Mélisse se retire.
CYBELE
Que les plus doux Zéphirs, que les peuples divers,
Qui des deux bouts de l’Univers
Sont venus me montrer leur zèle,
Célèbrent la gloire immortelle
Du sacrificateur dont Cybèle a fait choix,
Atys doit dispenser mes lois,
Honorez le choix de Cybèle.
SCÈNE QUATRIÈME
Des Zéphirs paraissent dans une gloire élevée et brillante. Les Peuples différents qui sont venus à la fête de Cybèle entrent dans le temple, et tous ensemble s’efforcent d’honorer Atys, qui vient revêtu des habits de grand sacrificateur.
CHŒURS DES PEUPLES ET DES ZEPHIRS
Célébrons la gloire immortelle
Du sacrificateur dont Cybèle a fait choix :
Atys doit dispenser ses lois,
Honorons le choix de Cybèle.
Premier et deuxième Air
CHŒURS DES PEUPLES ET DES ZEPHIRS
Que devant vous tout s’abaisse, et tout tremble ;
Vivez heureux, vos jours sont notre espoir :
Rien n’est si beau que de voir ensemble
Un grand mérite avec un grand pouvoir.
Que l’on bénisse
Le Ciel propice,
Qui dans vos mains
Met le sort des humains.
ATYS
Indigne que je suis des honneurs qu’on m’adresse,
Je dois les recevoir au nom de la Déesse ;
J’ose, puisqu’il lui plaît, lui présenter vos vœux :
Pour le prix de votre zèle,
Que la puissante Cybèle
Vous rende à jamais heureux.
CHŒURS DES PEUPLES ET DES ZEPHIRS
Que la puissante Cybèle
Nous rende à jamais heureux.
Que devant vous tout s’abaisse, et tout tremble ;
Vivez heureux, vos jours sont notre espoir :
Rien n’est si beau que de voir ensemble
Un grand mérite avec un grand pouvoir.
Que l’on bénisse
Le Ciel propice,
Qui dans vos mains
Met le sort des humains.
On reprend le deuxième Air pour entracte.
ACTE TROISIÈME
Le théâtre change et représente le Palais du sacrificateur de Cybèle.
SCÈNE PREMIÈRE
Atys.
Ritournelle
ATYS, seul.
Que servent les faveurs que nous fait la fortune
Quand l’Amour nous rend malheureux ?
Je perds l’unique bien qui peut combler mes vœux,
Et tout autre bien m’importune.
Que servent les faveurs que nous fait la fortune
Quand l’Amour nous rend malheureux ?
SCÈNE SECONDE
Doris, Atys, Idas.
IDAS
Peut-on ici parler sans feindre ?
ATYS
Je commande en ces lieux, vous n’y devez rien craindre.
DORIS
Mon frère est votre ami.
IDAS
Fiez-vous à ma sœur.
ATYS
Vous devez avec moi partager mon bonheur.
DORIS ET IDAS
Nous venons partager vos mortelles alarmes ;
Sangaride les yeux en larmes
Nous vient d’ouvrir son cœur.
ATYS
L’heure approche où l’hymen voudra qu’elle se livre
Au pouvoir d’un heureux époux.
DORIS ET IDAS
Elle ne peut vivre
Pour un autre que pour vous.
ATYS
Qui peut la dégager du devoir qui la presse ?
DORIS ET IDAS
Elle veut elle-même aux pieds de la Déesse
Déclarer hautement vos secrètes amours.
ATYS
Cybèle pour moi s’intéresse,
J’ose tout espérer de son divin secours…
Mais quoi, trahir le roi ! tromper son espérance !
De tant de biens reçus est-ce la récompense ?
DORIS ET IDAS
Dans l’empire amoureux
Le Devoir n’a point de puissance ;
L’Amour dispense
Les rivaux d’être généreux ;
Il faut souvent pour devenir heureux
Qu’il en coûte un peu d’innocence.
ATYS
Je souhaite, je crains, je veux, je me repens.
DORIS ET IDAS
Verrez-vous un rival heureux à vos dépens ?
ATYS
Je ne puis me résoudre à cette violence.
DORIS, ATYS ET IDAS
En vain, un cœur, incertain de son choix,
Met en balance mille fois
L’Amour et la Reconnaissance,
L’Amour toujours emporte la balance.
ATYS
Le plus juste parti cède enfin au plus fort.
Allez, prenez soin de mon sort,
Que Sangaride ici se rende en diligence.
SCÈNE TROISIÈME
Atys.
Ritournelle
ATYS, seul
Nous pouvons nous flatter de l’espoir le plus doux
Cybèle et l’Amour sont pour nous.
Mais du devoir trahi j’entends la voix pressante
Qui m’accuse et qui m’épouvante.
Laisse-mon cœur en paix, impuissante Vertu,
N’ai-je point assez combattu ?
Quand l’Amour malgré toi me contraint à me rendre,
Que me demandes-tu ?
Puisque tu ne peux me défendre,
Que me sert-il d’entendre
Les vains reproches que tu fais ?
Impuissante Vertu laisse mon cœur en paix.
Mais le Sommeil vient me surprendre,
Je combats vainement sa charmante douceur.
Il faut laisser suspendre
Les troubles de mon cœur.
Atys s’endort.
SCÈNE QUATRIÈME
Le théâtre change et représente un antre entouré de pavots et de ruisseaux, où le Dieu du sommeil se vient rendre accompagné des Songes agréables et funestes. Atys dormant. Le Sommeil, Morphée, Phantase et Phobétor.
Prélude pour le Sommeil
LE SOMMEIL
Dormons, dormons tous ;
Ah ! que le repos est doux !
MORPHEE
Régnez, divin Sommeil, régnez sur tout le monde,
Répandez vos pavots les plus assoupissants ;
Calmez les soins, charmez les sens,
Retenez tous les cœurs dans une paix profonde.
PHOBETOR
Ne vous faites point violence,
Coulez, murmurez, clairs ruisseaux,
Il n’est permis qu’au bruit des eaux
De troubler la douceur d’un si charmant silence.
LE SOMMEIL, MORPHEE, PHANTASE ET PHOBETOR
Dormons, dormons tous ;
Ah ! que le repos est doux !
On reprend le Prélude pour le Sommeil
Les Songes agréables approchent d’Atys, et par leurs chants et par leurs danses, lui font connaître l’amour de Cybèle et le bonheur qu’il en doit espérer.
MORPHEE
Écoute, écoute Atys la gloire qui t’appelle,
Sois sensible à l’honneur d’être aimé de Cybèle,
Jouis, heureux Atys, de ta félicité.
MORPHEE, PHANTASE ET PHOBETOR
Mais souviens-toi que la beauté,
Quand elle est immortelle,
Demande la fidélité
D’une amour éternelle.
PHANTASE
Que l’amour a d’attraits
Lorsqu’il commence
À faire sentir sa puissance !
Que l’Amour a d’attraits
Lorsqu’il commence
Pour ne finir jamais.
Air pour les Songes agréables
PHANTASE
Trop heureux un amant
Qu’Amour exempte
Des peines d’une longue attente !
Trop heureux un amant
Qu’Amour exempte
De crainte, et de tourment
On reprend l’Air pour les Songes agréables
PHOBETOR
Goûte en paix chaque jour une douceur nouvelle,
Partage l’heureux sort d’une divinité,
Ne vante plus la liberté,
Il n’en est point du prix d’une chaîne si belle.
MORPHEE, PHANTASE ET PHOBETOR
Mais souviens-toi que la beauté,
Quand elle est immortelle,
Demande la fidélité
D’une amour éternelle.
PHANTASE
Que l’amour a d’attraits
Lorsqu’il commence
À faire sentir sa puissance !
Que l’Amour a d’attraits
Lorsqu’il commence
Pour ne finir jamais.
On reprend l’Air pour les Songes agréables
Les Songes funestes approchent d’Atys et le menacent de la vengeance de Cybèle s’il méprise son amour et s’il ne l’aime pas avec fidélité.
UN SONGE FUNESTE
Garde-toi d’offenser un amour glorieux,
C’est pour toi que Cybèle abandonne les cieux
Ne trahis point son espérance.
Il n’est point pour les Dieux de mépris innocent,
Ils sont jaloux des cœurs, ils aiment la vengeance,
Il est dangereux qu’on offense
Un amour tout-puissant.
Première Entrée des Songes funestes
CHŒUR DE SONGES FUNESTES
L’amour qu’on outrage
Se transforme en rage,
Et ne pardonne pas
Aux plus charmants appas.
Si tu n’aimes point Cybèle
D’une amour fidèle,
Malheureux, que tu souffriras !
Tu périras :
Crains une vengeance cruelle,
Tremble, crains un affreux trépas.
Deuxième Entrée des Songes funestes
Atys, épouvanté par les Songes funestes, se réveille en sursaut ; le Sommeil et les Songes disparaissent avec l’antre où ils étaient, et Atys se retrouve dans le même palais où il s’était endormi.
SCÈNE CINQUIÈME
Cybèle, Mélisse et Atys.
ATYS
Venez à mon secours ô dieux ! ô justes dieux !
CYBELE
Atys, ne craignez rien, Cybèle est en ces lieux.
ATYS
Pardonnez au désordre où mon cœur s’abandonne ;
C’est un songe…
CYBELE
Parlez, quel songe vous étonne ?
Expliquez-moi votre embarras.
ATYS
Les songes sont trompeurs, et je ne les crois pas.
Les plaisirs et les peines
Dont en dormant on est séduit,
Sont des chimères vaines
Que le réveil détruit.
CYBELE
Ne méprisez pas tant les songes
L’Amour peut emprunter leur voix,
S’ils font souvent des mensonges,
Ils disent vrai quelquefois.
Ils parlaient par mon ordre, et vous les devez croire.
ATYS
Ô Ciel !
CYBELE
N’en doutez point, connaissez votre gloire.
Répondez avec liberté,
Je vous demande un cœur qui dépend de lui-même.
ATYS
Une grande divinité
Doit d’assurer toujours de mon respect extrême.
CYBELE
Les dieux dans leur grandeur suprême
Reçoivent tant d’honneurs qu’ils en sont rebutés,
Ils se lassent souvent d’être trop respectés,
Ils sont plus contents qu’on les aime.
SCÈNE SIXIÈME
Sangaride, Cybèle, Mélisse et Atys.
ATYS
Je sais trop ce que je vous dois
Pour manquer de reconnaissance…
SANGARIDE, se jetant aux pieds de Cybèle
J’ai recours à votre puissance,
Reine des Dieux, protégez-moi.
L’intérêt d’Atys vous en presse…
ATYS, interrompant Sangaride
Je parlerai pour vous, que votre crainte cesse.
SANGARIDE
Tous deux unis des plus beaux nœuds…
ATYS, interrompant Sangaride
Le sang et l’amitié nous unissent tous deux.
Que votre secours la délivre
Des lois d’un hymen rigoureux,
Ce sont les plus doux de ses vœux
De pouvoir à jamais vous servir et vous suivre.
CYBELE
Les dieux sont les protecteurs
De la liberté des cœurs.
CYBELE ET ATYS
Les dieux sont les protecteurs
De la liberté des cœurs.
CYBELE
Allez, ne craignez point le roi ni sa colère,
J’aurai soin d’apaiser
Le Fleuve Sangar votre père ;
Atys veut vous favoriser,
Cybèle en sa faveur ne peut rien refuser.
ATYS
Ah ! c’en est trop…
CYBELE
Non, non, il n’est pas nécessaire
Que vous cachiez votre bonheur,
Je ne prétends point faire
Un vain mystère
D’un amour qui vous fait honneur.
Ce n’est point à Cybèle à craindre d’en trop dire.
Il est vrai, j’aime Atys, pour lui j’ai tout quitté,
Sans lui je ne veux plus de grandeur ni d’empire,
Pour ma félicité
Son cœur seul peut suffire.
Allez, Atys lui-même ira vous garantir
De la fatale violence
Où vous ne pouvez consentir.
Sangaride se retire.
CYBELE, à Atys
Laissez-nous, attendez mes ordres pour partir,
Je prétends vous armer de ma toute-puissance.
SCÈNE SEPTIÈME
Cybèle et Mélisse.
CYBELE
Qu’Atys dans ses respects mêle d’indifférence !
L’ingrat Atys ne m’aime pas ;
L’Amour veut de l’amour, tout autre prix l’offense,
Et souvent le respect et la reconnaissance
Sont l’excuse des cœurs ingrats.
MELISSE
Ce n’est pas un si grand crime
De ne s’exprimer pas bien,
Un cœur qui n’aima jamais rien
Sait peu comment l’amour s’exprime.
CYBELE
Sangaride est aimable, Atys peut tout charmer,
Ils témoignent trop s’estimer,
Et de simples parents sont moins d’intelligence :
Ils se sont aimés dès l’enfance,
Ils pourraient enfin trop s’aimer.
Je crains une amitié que tant d’ardeur anime.
Rien n’est si trompeur que l’estime :
C’est un nom supposé
Qu’on donne quelquefois à l’amour déguisé.
Je prétends m’éclaircir, leur feinte sera vaine.
MELISSE
Quels secrets par les dieux ne sont point pénétrés ?
Deux cœurs à feindre préparés
Ont beau cacher leur chaîne,
On abuse avec peine
Les Dieux par l’amour éclairés.
CYBELE
Va, Mélisse, donne ordre à l’aimable Zéphire
D’accomplir promptement tout ce qu’Atys désire.
SCÈNE HUITIÈME
Cybèle.
Ritournelle
CYBELE, seule
Espoir si cher, et si doux,
Ah ! pourquoi me trompez-vous ?
Des suprêmes grandeurs vous m’avez fait descendre,
Mille cœurs m’adoraient, je les néglige tous,
Je n’en demande qu’un, il a peine à se rendre ;
Je ne sens que chagrins, et que soupçons jaloux ;
Est-ce le sort charmant que je devais attendre ?
Espoir si cher, et si doux,
Ah ! pourquoi me trompez-vous ?
Hélas ! par tant d’attraits fallait-il me surprendre ?
Heureuse, si toujours j’avais pu m’en défendre !
L’Amour qui me flattait me cachait son courroux :
C’est donc pour me frapper des plus funestes coups,
Que le cruel Amour m’a fait un cœur si tendre ?
Espoir si cher, et si doux,
Ah ! pourquoi me trompez-vous ?
On reprend le Premier Air pour entracte.
ACTE QUATRIÈME
Le théâtre change et représente le Palais du Fleuve Sangar.
SCÈNE PREMIÈRE
Sangaride, Doris et Idas.
DORIS
Quoi, vous pleurez ?
IDAS
D’où vient votre peine nouvelle ?
DORIS
N’osez-vous découvrir votre amour à Cybèle ?
SANGARIDE
Hélas !
DORIS ET IDAS
Qui peut encor redoubler vos ennuis ?
SANGARIDE
Hélas ! j’aime…
DORIS ET IDAS
Achevez.
SANGARIDE
Je ne puis.
DORIS ET IDAS
L’Amour n’est guère heureux lorsqu’il est trop timide.
SANGARIDE
Hélas ! j’aime un perfide
Qui trahit mon amour ;
La Déesse aime Atys, il change en moins d’un jour,
Atys comblé d’honneurs n’aime plus Sangaride.
Hélas ! j’aime un perfide
Qui trahit mon amour.
DORIS ET IDAS
Il nous montrait tantôt un peu d’incertitude ;
Mais qui l’eut soupçonné de tant d’ingratitude ?
SANGARIDE
J’embarrassais Atys, je l’ai vu se troubler :
Je croyais devoir révéler
Notre amour à Cybèle ;
Mais l’ingrat, l’infidèle,
M’empêchait toujours de parler.
DORIS ET IDAS
Peut-on changer si tôt quand l’amour est extrême ?
Gardez-vous, gardez-vous
De trop croire un transport jaloux.
SANGARIDE
Cybèle hautement déclare qu’elle l’aime,
Et l’ingrat n’a trouvé cet honneur que trop doux ;
Il change en un moment, je veux changer de même,
J’accepterai sans peine un glorieux époux,
Je ne veux plus aimer que la grandeur suprême.
DORIS ET IDAS
Peut-on changer si tôt quand l’amour est extrême ?
Gardez-vous, gardez-vous
De trop croire un transport jaloux.
SANGARIDE
Trop heureux un cœur qui peut croire
Un dépit qui sert à sa gloire.
Revenez ma raison, revenez pour jamais,
Joignez-vous au dépit pour étouffer ma flamme,
Réparez, s’il se peut, les maux qu’Amour m’a faits,
Venez rétablir dans mon âme
Les douceurs d’une heureuse paix ;
Revenez, ma raison, revenez pour jamais.
DORIS ET IDAS
Une infidélité cruelle
N’efface point tous les appas
D’un infidèle,
Et la raison ne revient pas
Si tôt qu’on l’a rappelle.
SANGARIDE
Après une trahison
Si la raison ne m’éclaire,
Le dépit et la colère
Me tiendront lieu de raison.
SANGARIDE, DORIS ET IDAS
Qu’une première amour est belle !
Qu’on a peine à s’en dégager !
Que l’on doit plaindre un cœur fidèle
Lorsqu’il est forcé de changer.
SCÈNE SECONDE
Sangaride, Doris, Célénus, Idas, Suivants de Célénus.
Prélude
CELENUS
Belle nymphe, l’hymen va suivre mon envie,
L’Amour avec moi vous convie
À venir vous placer sur un trône éclatant,
J’approche avec transport du favorable instant
D’où dépend la douceur du reste de ma vie :
Mais malgré les appas du bonheur qui m’attend,
Malgré tous les transports de mon âme amoureuse,
Si je ne puis vous rendre heureuse,
Je ne serai jamais content.
Je fais mon bonheur de vous plaire,
J’attache à votre cœur mes désirs les plus doux.
SANGARIDE
Seigneur, j’obéirai, je dépends de mon père,
Et mon père aujourd’hui veut que je sois à vous.
CELENUS
Regardez mon amour, plutôt que ma couronne.
SANGARIDE
Ce n’est point la grandeur qui me peut éblouir.
CELENUS
Ne sauriez-vous m’aimer sans que l’on vous l’ordonne.
SANGARIDE
Seigneur, contentez-vous que je sache obéir,
En l’état où je suis c’est ce que je puis dire…
SCÈNE TROISIÈME
Sangaride, Doris, Atys, Doris, Idas, Célénus, Suivants de Célénus.
CELENUS
Votre cœur se trouble, il soupire.
SANGARIDE
Expliquez en votre faveur
Tout ce que vous voyez de trouble dans mon cœur.
CELENUS
Rien ne m’alarme plus, Atys, ma crainte est vaine,
Mon amour touche enfin le cœur de la beauté
Dont je suis enchanté :
Toi qui fus témoin de ma peine,
Cher Atys, sois témoin de ma félicité.
Peux-tu la concevoir ? non, il faut que l’on aime,
Pour juger des douceurs de mon bonheur extrême.
Mais, près de voir combler mes vœux,
Que les moments sont longs pour mon cœur amoureux !
Vos parents tardent trop, je veux aller moi-même
Les presser de me rendre heureux.
SCÈNE QUATRIÈME
Sangaride, Atys.
Ritournelle
ATYS
Qu’il sait peu son malheur ! et qu’il est déplorable !
Son amour méritait un sort plus favorable :
J’ai pitié de l’erreur dont son cœur s’est flatté.
SANGARIDE
Épargnez-vous le soin d’être si pitoyable,
Son amour obtiendra ce qu’il a mérité.
ATYS
Dieux ! qu’est-ce que j’entends !
SANGARIDE
Qu’il faut que je me venge,
Que j’aime enfin le roi, qu’il sera mon époux.
ATYS
Sangaride, eh d’où vient ce changement étrange ?
SANGARIDE
N’est-ce pas vous ingrat qui voulez que je change ?
ATYS
Moi !
SANGARIDE
Quelle trahison !
ATYS
Quel funeste courroux !
SANGARIDE ET ATYS
Pourquoi m’abandonner pour une amour nouvelle ?
Ce n’est pas moi qui romps une chaîne si belle.
ATYS
Beauté trop cruelle, c’est vous !
SANGARIDE
Amant infidèle, c’est vous !
ATYS
Ah ! c’est vous, beauté trop cruelle !
SANGARIDE
Ah ! c’est vous amant infidèle !
SANGARIDE ET ATYS
Beauté trop cruelle/Amant infidèle, c’est vous,
Qui rompez des liens si doux.
SANGARIDE
Vous m’avez immolée à l’amour de Cybèle.
ATYS
Il est vrai qu’à ses yeux, par un secret effroi,
J’ai voulu de nos cœurs cacher l’intelligence :
Mais ce n’est que pour vous que j’ai crains sa vengeance,
Et je ne la crains pas pour moi.
Cybèle m’aime en vain, et c’est vous que j’adore.
SANGARIDE
Après votre infidélité,
Auriez-vous bien la cruauté
De vouloir me tromper encore ?
ATYS
Moi ! vous trahir ? vous le pensez ?
Ingrate, que vous m’offensez !
Eh bien, il ne faut plus rien taire,
Je vais de la déesse attirer la colère,
M’offrir à sa fureur, puisque vous m’y forcez…
SANGARIDE
Ah ! demeurez, Atys, mes soupçons sont passés ;
Vous m’aimez, je le crois, j’en veux être certaine.
Je le souhaite assez,
Pour le croire sans peine.
ATYS
Je jure,
SANGARIDE
Je promets,
SANGARIDE ET ATYS
De ne changer jamais.
SANGARIDE
Quel tourment de cacher une si belle flamme.
ATYS
Redoublons-en l’ardeur dans le fond de notre âme.
SANGARIDE ET ATYS
Aimons en secret, aimons-nous ;
Aimons plus que jamais, en dépit des jaloux.
SANGARIDE
Mon père vient ici.
ATYS
Que rien ne vous étonne ;
Servons-nous du pouvoir que Cybèle me donne,
Je vais préparer les Zéphirs
À suivre nos désirs.
SCÈNE CINQUIÈME
Sangaride, Célénus, le Dieu du Fleuve Sangar, troupe de Dieux de fleuves, de Ruisseaux et de Divinités de fontaines.
Prélude pour les Fleuves
LE DIEU DU FLEUVE SANGAR
Ô vous, qui prenez part au bien de ma famille,
Vous, vénérables dieux des fleuves les plus grands,
Mes fidèles amis, et mes plus chers parents,
Voyez quel est l’époux que je donne à ma fille :
J’ai pris soin de choisir entre les plus grands rois.
CHŒUR DE DIEUX DE FLEUVES
Nous approuvons votre choix.
LE DIEU DU FLEUVE SANGAR
Il a Neptune pour son père,
Les Phrygiens suivent ses lois ;
J’ai cru ne pouvoir faire
Un choix plus digne de vous plaire.
CHŒUR DE DIEUX DE FLEUVES
Tous, d’une commune voix,
Nous approuvons votre choix.
LE DIEU DU FLEUVE SANGAR
Que l’on chante, que l’on danse,
Rions tous lorsqu’il le faut ;
Ce n’est jamais trop tôt
Que le plaisir commence.
On trouve bientôt la fin
Des jours de réjouissance ;
On a beau chasser le chagrin,
Il revient plutôt qu’on ne pense.
CHŒUR DE DIEUX DE FLEUVES
Que l’on chante, que l’on danse,
Rions tous lorsqu’il le faut ;
Ce n’est jamais trop tôt
Que le plaisir commence.
On trouve bientôt la fin
Des jours de réjouissance.
DIEUX DE FLEUVES, DIVINITES DE FONTAINES ET PETITS DIEUX DE RUISSEAUX, chantants et dansants ensemble
La beauté la plus sévère
Prend pitié d’un long tourment,
Et l’amant qui persévère
Devient un heureux amant.
Tout est doux, et rien ne coûte
Pour un cœur qu’on veut toucher,
L’onde se fait une route
En s’efforçant d’en chercher,
L’eau qui tombe goutte à goutte
Perce le plus dur rocher.
L’hymen seul ne saurait plaire,
Il a beau flatter nos vœux ;
L’amour seul a droit de faire
Les plus doux de tous les nœuds.
Il est fier, il est rebelle,
Mais il charme tel qu’il est ;
L’hymen vient quand on l’appelle,
L’amour vient quand il lui plaît.
Il n’est point de résistance
Dont le temps ne vienne à bout,
Et l’effort de la constance
À la fin doit vaincre tout.
Tout est doux, et rien ne coûte
Pour un cœur qu’on veut toucher,
L’onde se fait une route
En s’efforçant d’en chercher,
L’eau qui tombe goutte à goutte
Perce le plus dur rocher.
L’Amour trouble tout le monde,
C’est la source de nos pleurs ;
C’est un feu brûlant dans l’onde,
C’est l’écueil des plus grands cœurs :
Il est fier, il est rebelle,
Mais il charme tel qu’il est ;
L’hymen vient quand on l’appelle,
L’amour vient quand il lui plaît.
Menuet
UN DIEU DE FLEUVES ET UNE DIVINITE DE FONTAINES, chantants et dansants ensemble
D’une constance extrême,
Un ruisseau suit son cours ;
Il en sera de même
Du choix de mes amours,
Et du moment que j’aime
C’est pour aimer toujours.
On reprend le Menuet
Jamais un cœur volage
Ne trouve un heureux sort,
Il n’a point l’avantage
D’être longtemps au port,
Il cherche encor l’orage
Au moment qu’il en sort.
Gavotte
DIVINITES DE FONTAINES, PETITS DIEUX DE RUISSEAUX ET DIEUX DE FLEUVES
Un grand calme est trop fâcheux,
Nous aimons mieux la tourmente.
Que sert un cœur qui s’exempte
De tous les soins amoureux ?
À quoi sert une eau dormante ?
Un grand calme est trop fâcheux,
Nous aimons mieux la tourmente.
On reprend la Gavotte
DIVINITES DE FONTAINES, PETITS DIEUX DE RUISSEAUX ET DIEUX DE FLEUVES
Un grand calme est trop fâcheux,
Nous aimons mieux la tourmente.
Que sert un cœur qui s’exempte
De tous les soins amoureux ?
À quoi sert une eau dormante ?
Un grand calme est trop fâcheux,
Nous aimons mieux la tourmente.
SCÈNE SIXIÈME
Sangaride, Atys, Célénus, le Dieu du Fleuve Sangar, troupe de Dieux de fleuves, de Petits Dieux de ruisseau, et de Divinités de fontaines, troupe de Zéphirs volants,
DIVINITES DE FONTAINES, PETITS DIEUX DE RUISSEAUX ET DIEUX DE FLEUVES
Venez former des nœuds charmants,
Atys, venez unir ces bien heureux amants.
ATYS
Cet hymen déplaît à Cybèle,
Elle défend de l’achever :
Sangaride est un bien qu’il faut lui réserver,
Et que je demande pour elle.
DIVINITES DE FONTAINES, PETITS DIEUX DE RUISSEAUX ET DIEUX DE FLEUVES
Ah quelle loi cruelle !
CELENUS
Atys peut s’engager lui-même à me trahir ?
Atys contre moi s’intéresse ?
ATYS
Seigneur, je suis à la déesse,
Dès qu’elle a commandé, je ne puis qu’obéir.
LE DIEU DU FLEUVE SANGAR
Pourquoi faut-il qu’elle sépare
Deux illustres amants pour qui l’hymen prépare
Ses liens les plus doux ?
DIVINITES DE FONTAINES, PETITS DIEUX DE RUISSEAUX ET DIEUX DE FLEUVES
Opposons-nous
À ce dessein barbare.
ATYS, élevé sur un nuage
Apprenez, audacieux,
Qu’il n’est rien qui n’obéisse
Aux souveraines lois de la reine des dieux.
Qu’on nous enlève de ces lieux ;
Zéphirs, que sans tarder mon ordre s’accomplisse.
Les Zéphirs volent et enlèvent Atys et Sangaride.
DIVINITES DE FONTAINES, PETITS DIEUX DE RUISSEAUX ET DIEUX DE FLEUVES
Quelle injustice !
On reprend le Menuet du Prologue pour entracte.
ACTE CINQUIÈME
Le théâtre change et représente des jardins agréables.
SCÈNE PREMIÈRE
Cybèle, Mélisse, Célénus.
Ritournelle
CELENUS
Vous m’ôtez Sangaride ? inhumaine Cybèle,
Est-ce le prix du zèle
Que j’ai fait avec soin éclater à vos yeux ?
Préparez-vous ainsi la douceur éternelle
Dont vous devez combler ces lieux ?
Est-ce ainsi que les rois sont protégés des dieux ?
Divinité cruelle,
Descendez-vous exprès des cieux
Pour troubler un amour fidèle ?
Et pour venir m’ôter ce que j’aime le mieux ?
CYBELE
J’aimais Atys, l’amour a fait mon injustice ;
Il a pris soin de mon supplice ;
Et si vous êtes outragé,
Bientôt vous serez trop vengé.
Atys adore Sangaride.
CELENUS
Atys l’adore ? ah le perfide !
CYBELE
L’ingrat vous trahissait, et voulait me trahir :
Il s’est trompé lui-même en croyant m’éblouir.
Les Zéphirs l’ont laissé, seul, avec ce qu’il aime,
Dans ces aimables lieux ;
Je m’y suis cachée à leurs yeux ;
J’y viens d’être témoin de leur amour extrême.
CELENUS
Ô Ciel ! Atys plairait aux yeux qui m’ont charmé ?
CYBELE
Eh pouvez-vous douter qu’Atys ne soit aimé ?
Non, non, jamais amour n’eût tant de violence,
Ils ont juré cent fois de s’aimer malgré nous,
Et de braver notre vengeance ;
Ils nous ont appelés cruels, tyrans, jaloux ;
Enfin leurs cœurs d’intelligence,
Tous deux… ah je frémis au moment que j’y pense !
Tous deux s’abandonnaient à des transports si doux,
Que je n’ai pu garder plus longtemps le silence
Ni retenir l’éclat de mon juste courroux.
CELENUS
La mort est pour leur crime une peine légère.
CYBELE
Mon cœur à les punir est assez engagé ;
Je vous l’ai déjà dit, croyez-en ma colère,
Bientôt vous serez trop vengé.
SCÈNE SECONDE
Atys, Sangaride, Cybèle, Célénus, Mélisse, troupe de Prêtresses de Cybèle.
CYBELE ET CELENUS
Venez vous livrer au supplice.
SANGARIDE ET ATYS
Quoi la terre et le ciel contre nous sont armés ?
Souffrirez-vous qu’on nous punisse ?
CYBELE ET CELENUS
Oubliez-vous votre injustice ?
SANGARIDE ET ATYS
Ne vous souvient-il plus de nous avoir aimés ?
CYBELE ET CELENUS
Vous changez mon amour en haine légitime.
SANGARIDE ET ATYS
Pouvez-vous condamner
L’amour qui nous anime ?
Si c’est un crime,
Quel crime est plus à pardonner ?
CYBELE ET CELENUS
Perfide, deviez-vous me taire
Que c’était vainement que je voulais vous plaire ?
SANGARIDE ET ATYS
Ne pouvant suivre vos désirs,
Nous croyons ne pouvoir mieux faire
Que de vous épargner de mortels déplaisirs.
CYBELE
D’un supplice cruel craignez l’horreur extrême.
CYBELE ET CELENUS
Craignez un funeste trépas.
SANGARIDE ET ATYS
Vengez-vous, s’il le faut, ne me pardonnez pas,
Mais pardonnez à ce que j’aime.
CYBELE ET CELENUS
C’est peu de nous trahir, vous nous bravez, ingrats ?
SANGARIDE ET ATYS
Serez-vous sans pitié ?
CYBELE ET CELENUS
Perdez toute espérance.
SANGARIDE ET ATYS
L’amour nous a forcé à vous faire une offense,
Il demande grâce pour nous.
CYBELE ET CELENUS
L’Amour en courroux
Demande vengeance.
CYBELE
Toi, qui portes partout et la rage et l’horreur,
Cesse de tourmenter les criminelles ombres,
Viens, cruelle Alecton, sors des royaumes sombres,
Inspire au cœur d’Atys ta barbare fureur.
SCÈNE TROISIÈME
Alecton, Sangaride, Cybèle, Mélisse, Atys, Célénus, Idas, troupe de Prêtresses de Cybèle, Peuples phrygiens. Alecton sort des Enfers, tenant à la main un flambeau qu’elle secoue en volant et en passant au-dessus d’Atys.
ATYS
Ciel ! quelle vapeur m’environne !
Tous mes sens sont troublés, je frémis, je frissonne,
Je tremble, et tout à coup, une infernale ardeur
Vient enflammer mon sang, et dévorer mon cœur.
Dieux ! que vois-je ? le ciel s’arme contre la terre ?
Quel désordre ! quel bruit ! quel éclat de tonnerre !
Quels abîmes profonds sous mes pas sont ouverts !
Que de fantômes vains sont sortis des Enfers !
Il parle à Cybèle, qu’il prend pour Sangaride.
Sangaride, ah fuyez la mort que vous prépare
Une divinité barbare :
C’est votre seul péril qui cause ma terreur.
SANGARIDE
Atys reconnaissez votre funeste erreur.
ATYS, prenant Sangaride pour un monstre
Quel monstre vient à nous ! quelle fureur le guide !
Ah respecte, cruel, l’aimable Sangaride.
SANGARIDE
Atys, mon cher Atys.
ATYS
Quels hurlements affreux !
CELENUS, à Sangaride
Fuyez, sauvez-vous de sa rage.
ATYS, tenant à la main le couteau sacré qui sert aux sacrifices
Il faut combattre ; Amour, seconde mon courage.
Atys court après Sangaride qui fuit dans un des côtés du théâtre.
LE CHŒUR
Arrête, arrête malheureux.
Célénus court après Atys.
SANGARIDE, dans un des côtés du théâtre.
Atys !
LE CHŒUR
Ô ciel !
SANGARIDE
Je meurs.
LE CHŒUR
Atys, Atys lui-même,
Fait périr ce qu’il aime !
CELENUS, revenant sur le théâtre
Je n’ai pu retenir ses efforts furieux,
Sangaride expire à vos yeux.
CYBELE
Atys me sacrifie une indigne rivale.
Partagez avec moi la douceur sans égale,
Que l’on goûte en vengeant un amour outragé.
Je vous l’avais promis.
CELENUS
Ô promesse fatale !
Sangaride n’est plus, et je suis trop vengé.
Célénus se retire au côté du théâtre, où est Sangaride morte.
SCÈNE QUATRIÈME
Atys, Cybèle, Mélisse, Idas, troupe de Prêtresses de Cybèle, Peuples phrygiens.
ATYS
Que je viens d’immoler une grande victime !
Sangaride est sauvée, et c’est par ma valeur.
CYBELE, touchant Atys
Achève ma vengeance, Atys, connais ton crime,
Et reprends ta raison pour sentir ton malheur.
ATYS
Un calme heureux succède aux troubles de mon cœur.
Sangaride, nymphe charmante,
Qu’êtes-vous devenue ? où puis-je avoir recours ?
Divinité toute puissante,
Cybèle, ayez pitié de nos tendres amours,
Rendez-moi Sangaride, épargnez ses beaux jours.
CYBELE, montrant à Atys Sangaride morte
Tu la peux voir, regarde.
ATYS
Ah quelle barbarie !
Sangaride a perdu la vie !
Ah quelle main cruelle ! ah quel cœur inhumain !…
CYBELE
Les coups dont elle meurt sont de ta propre main.
ATYS
Moi, j’aurais immolé la beauté qui m’enchante ?
Ô Ciel ! ma main sanglante
Est de ce crime horrible un témoin trop certain !
LE CHŒUR
Atys, Atys lui-même,
Fait périr ce qu’il aime.
ATYS
Quoi, Sangaride est morte ? Atys est son bourreau !
Quelle vengeance ô dieux ! quel supplice nouveau !
Quelles horreurs sont comparables
Aux horreurs que je sens ?
Dieux cruels, dieux impitoyables,
N’êtes-vous tout-puissants
Que pour faire des misérables ?
CYBELE
Atys, je vous ai trop aimé :
Cet amour par vous-même en courroux transformé
Fait voir encor sa violence :
Jugez, ingrat, jugez en ce funeste jour,
De la grandeur de mon amour
Par la grandeur de ma vengeance.
ATYS
Barbare ! quel amour qui prend soin d’inventer
Les plus horribles maux que la rage peut faire !
Bien heureux qui peut éviter
Le malheur de vous plaire.
Ô dieux ! injustes dieux ! que n’êtes-vous mortels ?
Faut-il que pour vous seuls vous gardiez la vengeance ?
C’est trop, c’est trop souffrir leur cruelle puissance,
Chassons-les d’ici-bas, renversons leurs autels.
Quoi, Sangaride est morte ? Atys, Atys lui-même
Fait périr ce qu’il aime ?
LE CHŒUR
Atys, Atys lui-même
Fait périr ce qu’il aime.
CYBELE, ordonnant d’emporter le corps de Sangaride morte
Ôtez ce triste objet.
ATYS
Ah ! Ne m’arrachez pas
Ce qui reste de tant d’appas :
En fussiez-vous jalouse encore,
Il faut que je l’adore
Jusque dans l’horreur du trépas.
SCÈNE CINQUIÈME
Cybèle, Mélisse.
CYBELE
Je commence à trouver sa peine trop cruelle,
Une tendre pitié rappelle
L’Amour que mon courroux croyait avoir banni,
Ma rivale n’est plus, Atys n’est plus coupable.
Qu’il est aisé d’aimer un criminel aimable
Après l’avoir puni.
CYBELE ET MELISSE
Qu’il est aisé d’aimer un criminel aimable
Après l’avoir puni.
CYBELE
Que son désespoir m’épouvante !
Ses jours sont en péril, et j’en frémis d’effroi :
Je veux d’un soin si cher ne me fier qu’à moi.
Allons… mais quel spectacle à mes yeux se présente ?
C’est Atys mourant que je vois !
SCÈNE SIXIÈME
Cybèle, Mélisse, Atys, Idas, Prêtresses de Cybèle.
IDAS, soutenant Atys
Il s’est percé le sein, et mes soins pour sa vie
N’ont pu prévenir sa fureur.
CYBELE
Ah ! c’est ma barbarie,
C’est moi, qui lui perce le cœur.
ATYS
Je meurs, l’amour me guide
Dans la nuit du trépas ;
Je vais où sera Sangaride,
Inhumaine, je vais où vous ne serez pas.
CYBELE
Atys, il est trop vrai, ma rigueur est extrême,
Plaignez-vous, je veux tout souffrir.
Pourquoi suis-je immortelle en vous voyant périr ?
CYBELE ET ATYS
Il est doux de mourir
Avec ce que l’on aime.
CYBELE
Que mon amour funeste armé contre moi-même,
Ne peut-il vous venger de toutes mes rigueurs.
ATYS
Je suis assez vengé, vous m’aimez, et je meurs.
CYBELE
Malgré le destin implacable
Qui rend de ton trépas l’arrêt irrévocable,
Atys, sois à jamais l’objet de mes amours :
Reprends un sort nouveau, deviens un arbre aimable
Que Cybèle aimera toujours.
Atys prend la forme de l’arbre aimé de la déesse Cybèle, que l’on appelle pin.
SCÈNE SEPTIÈME ET DERNIÈRE
Cybèle, troupe de Nymphes des eaux, de Divinités des bois et de Corybantes.
Ritournelle
CYBELE
Venez furieux Corybantes,
Venez joindre à mes cris vos clameurs éclatantes ;
Venez nymphes des eaux, venez dieux des forêts,
Par vos plaintes les plus touchantes
Seconder mes tristes regrets.
Ritournelle
CYBELE
Atys, l’aimable Atys, malgré tous ses attraits,
Descend dans la nuit éternelle ;
Mais malgré la mort cruelle,
L’amour de Cybèle
Ne mourra jamais.
Sous une nouvelle figure,
Atys est ranimé par mon pouvoir divin ;
Célébrez son nouveau destin,
Pleurez sa funeste aventure.
CHŒUR DES NYMPHES DES EAUX ET DES DIVINITES DES BOIS
Célébrons son nouveau destin,
Pleurons sa funeste aventure.
CYBELE
Que cet arbre sacré
Soit révéré
De toute la nature.
Qu’il s’élève au-dessus des arbres les plus beaux :
Qu’il soit voisin des cieux, qu’il règne sur les eaux ;
Qu’il ne puisse brûler que d’une flamme pure.
Que cet Arbre sacré
Soit révéré
De toute la nature.
CHŒUR DES NYMPHES DES EAUX ET DES DIVINITES DES BOIS
Que cet Arbre sacré
Soit révéré
De toute la nature.
CYBELE
Que ses rameaux soient toujours verts :
Que les plus rigoureux hivers
Ne leur fassent jamais d’injure.
Que cet arbre sacré
Soit révéré
De toute la nature.
CHŒUR DES NYMPHES DES EAUX ET DES DIVINITES DES BOIS
Que cet Arbre sacré
Soit révéré
De toute la nature.
CYBELE ET LE CHŒUR DES NYMPHES DES EAUX ET DES DIVINITES DES BOIS
Quelle douleur !
CYBELE ET LE CHŒUR DES CORYBANTES
Ah ! quelle rage !
CYBELE ET TOUS LES CHŒURS
Ah ! quel malheur !
CYBELE
Atys au printemps de son âge,
Périt comme une fleur
Qu’un soudain orage
Renverse et ravage.
CYBELE ET LE CHŒUR DES NYMPHES DES EAUX ET DES DIVINITES DES BOIS
Quelle douleur !
CYBELE ET LE CHŒUR DES CORYBANTES
Ah ! quelle rage !
CYBELE ET TOUS LES CHŒURS
Ah ! quel malheur !
Les Divinités des bois et des eaux, avec les Corybantes, honorent le nouvel arbre, et le consacrent à Cybèle. Les regrets des Divinités des bois et des eaux, et les cris des Corybantes, sont secondés et terminés par des tremblements de terre, par des éclairs, et par des éclats de tonnerre.
Entrée des Nymphes
Première et deuxième Entrée des Corybantes
CYBELE ET LE CHŒUR DES NYMPHES DES EAUX ET DES DIVINITES DES BOIS
Que le malheur d’Atys afflige tout le monde.
CYBELE ET LE CHŒUR DES CORYBANTES
Que tout sente, ici-bas,
L’horreur d’un si cruel trépas.
CYBELE ET LE CHŒUR DES NYMPHES DES EAUX ET DES DIVINITES DES BOIS
Pénétrons tous les cœurs d’une douleur profonde :
Que les bois, que les eaux, perdent tous leurs appas.
CYBELE ET LE CHŒUR DES CORYBANTES
Que le tonnerre nous réponde :
Que la terre frémisse, et tremble sous nos pas.
CYBELE ET LE CHŒUR DES NYMPHES DES EAUX ET DES DIVINITES DES BOIS
Que le malheur d’Atys afflige tout le monde.
CYBELE ET TOUS LES CHŒURS
Que tout sente, ici-bas,
L’horreur d’un si cruel trépas.
FIN.
Le podcast "Une heure avec Atys"
"1h avec Atys" est une série de podcasts produite par le Centre de musique baroque de Versailles, conçue et présentée par Nicolas Bucher et réalisée par Flore Caron, dans le cadre de l'émission "Une heure avec le CMBV".
A écouter sur vos plateformes préférées
Atys est une coproduction du Centre de musique baroque de Versailles, Les Ambassadeurs ~ La Grande Ecurie, l’Opéra Grand Avignon, l’Atelier lyrique de Tourcoing, Théâtre des Champs-Elysées. La partition est réalisée par Nicolas Sceaux pour le Centre de musique baroque de Versailles sous la supervision de Thomas Leconte, Nathalie Berton-Blivet, Fabien Guilloux. L’ensemble Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie est en résidence à l’Atelier Lyrique de Tourcoing dans le cadre du dispositif de « résidences croisées » du Centre de musique baroque de Versailles.
Ce programme fait l'objet d'un enregistrement discographique pour le label Alpha Classics. A l’occasion de la production d'Atys, le CMBV fait reconstruire des copies de hautbois historiques français par les facteurs Henri Gohin, Thierry Bertrand, Olivier Clémence et Alberto Ponchio grâce au financement apporté par Monsieur Romain Durand, Grand mécène du CMBV - instruments Durand Milanolo.
Remerciements à Radio VINCI Autoroutes pour son aide à la réalisation.