À l’occasion du tricentenaire de la mort de Dancourt– figure essentielle de la Comédie-Française au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles –, un colloque-festival se tiendra entre Paris et Versailles (CMBV) les 4, 5 et 6 décembre 2025. Il invite à différents types de communications et à des propositions ou méthodologies originales. L’appel à communications est ouvert jusqu’au 15 juin 2025.
Colloque "Le cas Dancourt (1661-1725)"
Acteur central de la troupe de la Comédie-Française naissante et auteur d’une soixantaine de pièces, dont plus d’un tiers remportèrent un important succès scénique, Florent Carton Dancourt est un nom connu de l’histoire littéraire. Néanmoins, celui qui fut en son temps un professionnel majeur de la vie théâtrale est un exemple frappant de la relégation subie par nombre de ses contemporains dramaturges de la fin du règne de Louis xiv. Ses pièces, comme celles de Fatouville, Regnard, Dufresny ou Lesage, sont quasi absentes depuis presque deux siècles de l’affiche des théâtres autant que des programmes scolaires et des enseignements universitaires. Dancourt est devenu un auteur mineur, alors qu’il fut un artiste prééminent par l’extrême fécondité de son œuvre, ses ambitions de carrière, sa réputation ambivalente, ainsi que par sa visibilité et ses responsabilités au sein de la Comédie-Française.
En 2025, le comédien-auteur sera mort depuis 300 ans. Nous saisissons ce prétexte pour lui dédier un colloque-festival. L’objectif de cette manifestation n’est pas de tailler à Dancourt une place au sein d’un panthéon tardif, mais plutôt d’interroger la centralité de sa position en tant qu’acteur et dramaturge à un moment où le renouvellement de la scène comique coïncide avec l’émergence d’une politique théâtrale institutionnelle et l’épanouissement d’un public urbain sensible aux arts et aux divertissements mondains. Dans une période où les professionnels du théâtre doivent composer avec les exigences du public, tout autant qu’avec celles de l’institution naissante, Dancourt apparaît comme une figure incontournable. Son parcours socio-professionnel au sein de la troupe du Français peut nous aider à comprendre les dynamiques et les tensions qui animent la compagnie à peine constituée. Son œuvre dramatique, où la musique et la danse occupent une place centrale, a été écrite en collaboration avec d’importants compositeurs du temps, tels Marc-Antoine Charpentier, Michel-Richard de Lalande ou Jean-Claude Gillier, et des maîtres de danse comme Pierre de La Montagne ou Pierre Beauchamps. Diversement adapté à l’air de son temps et marqué par une capacité d’invention audacieuse et féconde, son théâtre nous impose de revenir sur les formes et les enjeux du genre comique, tel qu’il se remodèle dans le sillage de l’œuvre de Molière, prédécesseur aussi capital qu’encombrant, et à la faveur de ce « tournant moderne » qui court de la fin du classicisme à l’aube des Lumières. Attaché à une peinture des mœurs tant gaillarde que corrosive, son théâtre a pu également être objet de mépris de la part de certains contemporains, lesquels forgèrent le terme dancourade pour déprécier ces nouvelles turlupinades en un acte, qui faisaient le choix d’un « comique risible, et même ridicule et bouffon » (René-Louis d’Argenson). Exemplaire d’une scène comique en mutation, l'œuvre de Dancourt permet de mieux envisager la place de la comédie au sein de la programmation du Théâtre-Français et en regard de celle des autres scènes parisiennes.
Penser le cas Dancourt, c’est aussi l’inscrire au sein d’une histoire littéraire et théâtrale soucieuse de prendre en compte ses marges et de sortir d’une logique de canonisation pour s’intéresser aux conditions de production et de réception du spectacle vivant, en s’attachant aux parcours professionnels des hommes et des femmes de métier. L’opposition entre l’invisibilité de Dancourt aujourd’hui et la centralité de son statut à son époque pose la question de la valeur d’une grande partie du répertoire théâtral ancien, de ses circonstances de représentation et de publication, et de ce que peut signifier une réputation d’actualité sur le temps long. C’est, à ce titre, poursuivre une approche plus documentaire que monumentale de l’histoire, sensible à ce qui peut faire écho à notre présent, notamment à travers l’expérience scénique. Car notre colloque-festival entend aussi choisir ce temps commémoratif pour donner corps et voix à l’art protéiforme du dramaturge, et mesurer quels affects peuvent encore être mobilisés par une œuvre qui célèbre l’imagination, l’audace et l’innovation.
Dancourt et la scène comique
Dans quelle mesure l’œuvre de Dancourt est-elle exemplaire d’un processus d’échange et de circulation entre les différentes scènes théâtrales parisiennes (Comédie-Française, Théâtre-Italien, Foires, Académie royale de musique), lequel a contribué au développement d’une production comique diversifiée, sensible aux circonstances et aux effets immédiats du spectacle plutôt que redevable à un modèle poétique unifié et figé (usage original des formes métathéâtrales et parodiques, renouvellement de la satire, invention du divertissement avec musique et danses…) ? Quelle place occupe, en particulier, la parodie d’opéras dans cette œuvre et de quelle façon contribue-t-elle à forger la spécificité du répertoire de Dancourt ? Que nous dit-elle des rapports que le dramaturge entretint avec l’Académie royale de musique ? De quelle manière les liens de Dancourt avec la cour, notamment avec le Dauphin, commanditaire de plusieurs œuvres, ont-ils pu influer sur sa production dramatique ?
Comment envisager la place accordée par Dancourt à l’actualité politique, militaire, sociale ou culturelle, qui ouvre la scène à l’anecdote et au fait divers ? Comment aborder la vocation médiatique propre au théâtre de cette période ? Comment le théâtre de Dancourt offre-t-il une vision singulière du monde et de la société, des rapports amoureux, de la condition féminine, des relations entre les groupes sociaux, des bouleversements institutionnels contemporains ?
Suivant quelles modalités les parties chantées et dansées, les intermèdes et les divertissements s’insèrent-ils dans le spectacle théâtral ? Quels sont leur rôle dramatique et leur facture musicale et chorégraphique ? Comment la comédie parlée s’articule-t-elle avec le divertissement comique à vaudeville, ses chants et ses danses, ses couplets et ses chœurs ? Dans quelle mesure ces divertissements revêtent-ils, par leur tonalité, une forme originale qui les distingue des scènes concurrentes et détermine des pratiques de chant et de danse propres à la Comédie-Française ?
Comment envisager la place et le rôle de l’invention chez un auteur s’inspire des succès des scènes concurrentes, semble travailler parfois en collaboration et peut se contenter de réactualiser d’anciennes pièces, de démarquer la création d’autrui, voire de se l’approprier ? Que révèlent ces pratiques de coécriture, de réécriture, de mise au goût du jour, d’imitation voire de plagiat concernant les modalités de la création dramatique dans l’entre-deux-siècles ?
L’institution théâtrale et la fabrique du spectacle
En quoi la double programmation, avec la fonction économique attribuée à la « petite pièce », a-t-elle orienté la production théâtrale de Dancourt ? Dans quelle mesure les stratégies de programmation, qui suivent à la fois des logiques économiques et politiques, pouvaient-elles déterminer les carrières ? Comment l’activité dramatique de Dancourt éclaire-t-elle la condition des comédiens-dramaturges (leurs activités de plume, leur rôle de fournisseur de nouveautés au service de leur théâtre, aux dépens parfois de leurs propres visées auctoriales) ?
Y a-t-il un « paradoxe Dancourt », auteur central de la Comédie-Française, mais, dans le même temps, auteur secondaire car comique, créateur de « petites pièces » et souvent cantonné à la saison estivale ? Peut-on y voir un reflet de la situation même du Théâtre-Français, institution royale et privilégiée, mais endettée et concurrencée de toutes parts, qui peine à entrer dans un siècle de libéralisation de la vie théâtrale ?
Comment appréhender le travail de Dancourt acteur, ses spécialisations de jeu, ses fonctions d’orateur de la troupe, le rôle qu’il a joué dans le règlement de différents problèmes administratifs, ou encore le clan qu’il constituait au sein du théâtre avec sa femme et ses deux filles pour qui il écrivit des rôles ?
Que sait-on des aspects concrets de la production des spectacles ? de leur coût ? des moyens matériels mobilisés ? des enjeux financiers, administratifs, voire judiciaires qui président parfois à la création ? de la nature des effectifs musicaux et chorégraphiques ? des rapports entre les dramaturges et les artistes : comédiennes et comédiens, chanteuses et chanteurs, danseuses et danseurs, instrumentistes, décorateurs, éclairagistes et machinistes ? Dans quelle mesure l’écriture des pièces procède-t-elle de la prise en compte des unes et des autres ? Quelles sont les modalités de leur participation à la création collective ?
Questions de réception
Que montre l’analyse approfondie des recettes, des stratégies de programmation en fonction des jours et des saisons, l’analyse des comptes rendus dans la presse, des jugements des amateurs et historiens du théâtre au XVIIIe siècle ?
Dans quelle mesure et de quelle manière Dancourt s’est-il investi dans la diffusion de son œuvre sous forme imprimée ? A-t-il pris part à la constitution de l’édition en 7 volumes des Œuvres de Monsieur d’Ancourt par Pierre Ribou en 1711 (sélection et ordonnancement des pièces, choix des frontispices et illustrations, publication de la musique) ? Que nous apprennent les paratextes des différentes éditions (épîtres dédicatoires, poèmes d’éloge) sur les réseaux de protecteurs qu’il essaya de se constituer ainsi que sur sa manière de construire un ethos d’auteur ?
Quelle est la postérité de son répertoire après sa mort ? Quels sont les choix éditoriaux qui ont présidé à l’élaboration des diverses éditions collectives posthumes ? Le regard sur ces éditions, les traductions, l’iconographie, les reprises à la scène, les appréciations portées par l’historiographie critique (La Harpe, Lanson, plus tard Lancaster et Adam) doit permettre de distinguer la fortune de Dancourt. A-t-il été rapidement et radicalement rejeté dans la catégorie des « auteurs de second ordre » ? Dans quelle mesure sa destinée scénique est-elle comparable à celle de ses contemporains Baron, Regnard ou Dufresny ?
Pourquoi rééditer et jouer Dancourt et ses contemporains aujourd’hui ? Quelles difficultés ? Quels enjeux ? Les liens étroits de ce théâtre avec l’actualité immédiate de son temps ne le rendent-ils pas radicalement incompatible avec une démarche de réappropriation ou d’actualisation par la mise en scène plusieurs siècles plus tard ? Comment la recherche-création peut-elle approcher ce répertoire ? Dans quelle mesure les humanités numériques, les programmes de numérisation et d’édition dont elles sont porteuses, les projets pédagogiques et artistiques qu’elles développent peuvent-ils contribuer à faire revivre le répertoire de Dancourt et l’éclairer d’un jour nouveau ?
Appel à communications
Avec un format festival, ce colloque est ouvert à différents types de communications et à des propositions ou méthodologies originales : tables rondes, retours sur des expériences de recherche-création, ateliers, présentations participatives, conférences-performances, etc.
Propositions de 300 à 500 mots à adresser avant le 15 juin 2025 à l’adresse colloquedancourt@gmail.com.
Téléchargez l'appel à communications
En partenariat avec la Comédie-Française et le Centre de musique baroque de Versailles / Avec le soutien de l’Association pour un Centre de recherche sur les Arts du Spectacle aux XVIIe et XVIIIe siècles.