Chaque mois, le Centre de musique baroque de Versailles vous concocte une playlist thématique à écouter pour vous immerger dans le répertoire musical français des XVIIe et XVIIIe siècles. Bonne écoute !
Playlist audio #13
Playlist par Thomas Leconte, chercheur et responsable éditorial au CMBV
Si l’on connaît bien les musiques qui ont fait la gloire du règne de Louis XIV, celles qui ont accompagné les premières heures du Grand Siècle sont encore mal connues. À côté des grands compositeurs (Lully, Charpentier, Rameau, Couperin…), le CMBV s’est toujours attaché à promouvoir les musiciens et répertoires qui, durant la première moitié du XVIIe siècle, ont contribué à l’élaboration d’un véritable « style français », qui connut son apogée sous le règne de Louis XIV. Deux précieux manuscrits conservés à la Bibliothèque municipale de Tours et à la Bibliothèque nationale de France aident à comprendre cette évolution, depuis l’héritage polyphonique de la fin de la Renaissance jusqu’aux préfigurations du grand et du petit motets, genres emblématiques du règne de Louis XIV. Cette playlist propose quelques-unes des plus belles pages de cette collection unique.
Ces deux recueils rassemblent les rares vestiges manuscrits, pour la plupart anonymes, de musique d’église française polyphonique du premier XVIIe siècle – des motets, quelques messes –, ainsi qu’une dizaine de pièces en français ou en provençal. Quelques noms (qui ont d’ailleurs donné lieu à des attributions parfois hâtives ou incertaines) apparaissent au fil des pages, parmi lesquels les grands maîtres du temps : Guillaume Bouzignac, Boesset (Antoine ou son fils Jean-Baptiste), Étienne Moulinié, Henry Du Mont, mais aussi André Péchon, Pierre Gaydon, Pierre Méliton, un certain Gaillard. Les effectifs vocaux et les dispositifs sont très variés, depuis de grands développements polyphoniques à plusieurs chœurs jusqu’à de petits bijoux ciselés et délicats à 2, 3, 4 ou 5 voix. Certaines pièces sont communes aux deux manuscrits, ce qui témoigne d’une évidente parenté. L’ensemble propose ainsi un vaste répertoire de 344 pièces datant des années 1630-1660 environ, dont le CMBV a entrepris l’édition complète, librement disponible en ligne : https://omeka.cmbv.fr/s/les-recueils-Tours-168-et-Deslauriers/page/accueil
Variées, inventives, tour à tour puissantes et flamboyantes, délicates et poignantes, ces musiques sont encore peu enregistrées. Elles sont ici servies avec ferveur par les meilleurs spécialistes : William Christie, à la tête de ses Arts florissants augmentés – comme dans les anciennes maîtrises – par les voix angéliques des Pages de la Chapelle (ancien nom des Pages du Centre de musique baroque de Versailles) ; l’ensemble Dumont, fondé et dirigé par l’organiste et musicologue britannique Peter Bennett, qui a lui-même beaucoup travaillé sur ces manuscrits ; et plus récemment, l’ensemble Correspondances, dirigé par Sébastien Daucé.
Du manuscrit 168 de la Bibliothèque municipale de Tours (dit « Manuscrit de Tours »), qui compte une centaine de pièces, l’on entend ici l’impressionnant Te Deum à 8 (traditionnellement – mais abusivement – attribué à Bouzignac) qui ouvre le volume, mais aussi des pièces plus intimistes (Ave Maria, Flos in flores, Salve Jesu piissime).
Plus important encore (294 pièces), le manuscrit Rés. Vma ms. 571 de la Bibliothèque nationale de France (« Manuscrit Deslauriers ») renferme notamment un intéressant corpus d’œuvres à 4 ou 5 voix égales (Visitat Maria Elisabeth, Quam pulchra es, Messe à 4 du 11e mode, Magnificat, Domine salvum fac regem, Anna mater matris, Ave mater pia), dont plusieurs signées Boesset, peut-être destinées aux religieuses de l’abbaye royale de Montmartre (Paris) à qui il enseignait le chant. Parmi les trésors de ce manuscrit, l’on trouve encore deux motets polyphoniques de Moulinié (O bone Jesu, Flores apparuerunt), mais surtout de très nombreux anonymes, dont plusieurs sur le Cantique des Cantiques, texte biblique particulièrement apprécié des compositeurs du temps (Veni sponsa mea, Egredimini filiæ Sion).
Plusieurs motets se retrouvent dans les deux manuscrits, comme le triomphant Jubilate Deo ou l’étonnant Dum silentium, où la voix de l’ange Gabriel, émergeant du « silence », annonce la Nativité en une petite « histoire sacrée ».